Je voudrais comprendre pourquoi tu m’as élu Nouvelle Race post-pubère. Je devrais normalement me situer entre l’adolescent obsédé dépressif fan de Heavy Métal ou le laissé pour compte rappeur casseur castagneur. Or, je ne suis ni l’un ni l’autre. Pourtant à l’aire de la famille mono-parentale, je suis conventionnellement entretenu par une mère hystérique et je subis l’ingratitude et la laideur d’un petit frère en âge de brûler des voitures. Exempté de la misère des Cités, je tente de survivre parmi la bourgeoisie capricieuse et corrompue du monde occidental.
Si j’étais né au moment où Buddy Holly nous chantait Peggy Sue, j’aurais pu assister aux premiers pas de Neil Armstrong à la télévision, tomber amoureux de Brigitte Bardot ou de Françoise Hardy, voir Jim Morrison torché par l’alcool, prendre parti à la dictature de Ziggy Stardust en Angleterre, être fan de Star Treck, me branler devant Deep Throat au cinéma, comprendre toutes les blagues de Gotlib, participer à un concert spectaculaire de Pink Floyd, envisager une carrière de dessinateur aux côtés de Moebius, posséder des lampes à paillettes, des vinyles de Captain Beefheart, un fauteuil rose gonflable Quasar, une rallonge tortillon orange, m’habiller comme Georges Clinton, m’émerveiller aux sons imprenables de Féla, faire l’amour sans préservatif, méditer sur le sens profond du Happening de Kaprow, aimer les œuvres de Vasarely et croire naïvement que Led Zeppelin était le dernier meilleur groupe du monde…
Or, je suis né bêtement à la sortie du film E.T et pendant les débuts de Madonna. J’ai grandi avec le Club Dorothée, Bernard Minet, les publicités de Kinder Surprise, les chansons de Stéphanie De Monaco et les films d’Arnold Schwarzenegger… Normalement, j’aurais dû finir fan de Korn, de Marilyn Manson ou de Eminem. Mais histoire de m’exclure de ce monde, vous avez fait le nécessaire pour que mes oreilles, ma langue, mes yeux, mes tripes, mon cœur et mon colon, soient sensibles à la Musique de Frank Zappa.
A dix ans, parce que je détestais la voix de Dorothée, je dessinais régulièrement des paysages imaginaires pleins de couleurs sur les murs de ma chambre et sur mes vêtements. Ce qui me valut à plusieurs reprises des claques sur le minois. Logique. Sauf que cette obstination à poursuivre mes chef-d’œuvres malgré ces sévérités inquiétait particulièrement ma mère. Elle se résigna et c’est de son renoncement, que je cessais cette activité, pour la remplacer par les percussions de lèchefrites et d’écuelles dans la cuisine. Je pris goût à la musique entre les gueuleries maternelles et mes tambourinements culinaires. Ma mère me croyait fou et elle pleurait sans arrêt. C’est en faisant un vide grenier pour se faire un peu d’argent, qu’elle m’offrit les vinyles de mon père kidnappé par la Grande Faucheuse de Jardiland ( je me souviens vaguement de ce jour, j’avais quatre ans et ma mère affligée, attendait près du téléphone, la demande de rançon).
De Johnny Cash aux Sex Pistols, en passant par The Beach Boys, Bob Dylan, Yes, Cream, Lynyrd Skynyrd, Jefferson Airplane, Soft Machine, King Crimson, MC5, The Velvet Underground, New York Dolls...
J’avais cru recevoir un trésor de grande valeur. Elle aurait pu les vendre ?
Non.
Elle me les donna.
Tous.
Elle avait sans doute compris que ma folie s’estomperait en écoutant ses musiques… Elle avait complètement tord. Je suis devenu encore plus fou.
A douze ans, je choisissais déjà mes amis parmi les vilains petits canards et je préférais lire les biographies de Louis Armstrong ou de Chuck Berry plutôt que de jouer à Mario Bros avec une Nintendo. J’essayais de découvrir autre chose que la musique des années 1970 grâce à la magie des bibliothèques de mon quartier et j’enviais les bourgeois qui pouvaient s’accorder des instruments de musique et des cours au Conservatoire. Ma culture commença à se limiter, lorsqu’un jour, des élèves du lycée vinrent à la sortie du collège pour nous présenter Marie-Jeanne. Mon meilleur ami Marshall tomba très vite amoureux. Payer pour la voir lui était très difficile, alors il se mit très tôt à travailler au noir : tondre des pelouses, promener des animaux, faire de la lecture à des grands-mères… Et je le suivais partout parce que je l’admirais beaucoup. Puis, je rencontrais Patrick, fils d’un professeur de musique, au croisement d’une rue. Il gueulait tout seul, une flûte légèrement brisée dans la main droite, le nez saignant, les lunettes tordues, les cheveux ébouriffés, les genoux écorchés, un vêtement de marin blanc à pompon. On venait de lui casser la figure mais il ne pleurait pas. Puis, il y eut Christoph, un Mowgli, qui vivait sans parents dans un arbre avec un dinosaure… Et d’autres copains encore, plus vilains et plus monstrueux les uns que les autres. Les amis de Tod Browning sont mes amis.
Mais, c’est surtout à l’âge de quatorze ans, lorsque tout le monde se pogotait sur Nirvana tandis que nous nous pogotions sur The Flattened Courgettes, que je compris que notre intégration sociale allait être très difficile. J’étais soulagé de ne pas vivre seul mon exclusion. Cependant, nous étions plusieurs à nous poser cette question : pourquoi ?
Ce fût ainsi que l’année de mes dix-huit ans, je décidai d’écrire un journal. Je pensais qu’un jour viendrait où je serais obligé de m’adapter à la société. Dans ce vaste monde incommode, je me sentais comme un insecte. J’aurais voulu devenir un Homme. Pour cela, il me faudrait étendre une longue analyse, tel que j’avais pu le faire pour comprendre Eraserhead de Lynch, de mes fantasmes proscrits et de mes hallucinations volontaires…
Autrement dit, il était tant que je mûrisse et que j’arrête de causer au Démiurge.

LE PREMIER HUMAIN ET LE CAFARD
Mardi 16 novembre.
Mon petit frère poilu en pleine croissance, est un puissant partisan de la secte qui s’appelle Slut Women. Est-ce une vocation ordinaire, un adolescent de quinze ans qui abandonne son essence de petit puceau débile entre les mains d’une secte de fornicatrices culturistes ? Tout ceci est une question d’opinion entièrement subjective. Maman a pleuré toute la nuit pour le ramener à la raison. Elle s’est même mise à genoux et a hué son nom pour que le toit s’écroule, et sûrement pour me contrarier dans ma quête du sommeil. Cela fait au moins un mois qu’il n’a pas brûlé de voitures. Je considère ce changement comme un exploit. Ma mère voit cette transformation comme une nouvelle approche sordide de la vie. Il a quitté tous ses copains agressifs des Cités avoisinantes pour une secte libidineuse. Tout ceci aurait pu être rassurant si seulement cette secte ne véhiculait pas la liberté de viol et le nazisme extrême. Il y a un mois de cela, il se baladait avec des amis de nationalités différentes, roulait des épaules en marchant, crachait sur le sol et utilisait un dialecte que ni ma mère ni moi comprenions. Aujourd’hui, il se balade avec des filles percées sur tout le corps, se coiffe comme un Cherokee, marche avec des écrases-merdes, tire la langue à tout bout de champs et se branle dans les lieux publics, de préférence devant des vieilles dames ou des jeunes filles vierges effarouchées. Je ne m’inquiète pas trop. Peut-être que dans un mois, il sera un gothique convaincu fan de Type O Negative ou un dandy kitsch aux gestes précieux.
Quant à moi, je continu d’explorer les secrets magiques de la marijuana. Je suis revenu de chez Marshall vers minuit. Nous avons pris quelque chose qui nous a éjecté dans un monde totalement euphorique, peuplé d’outardes flamboyantes et souriantes. Normalement, cela aurait dû me permettre d’atteindre un état léthargique profond. Or, il n’en est rien. Je vois les premiers rayons du soleil apparaître à travers les craquelures de mes vieux volets.
Pourquoi n’ai-je pas plongé mon regard dans un livre ? Non, à la place, je me suis rasé les cheveux. Toute la nuit ? Je ne sais plus bien. Je suis beaucoup trop défoncé.
C’est laid. C’est même très laid. Je me contemple dans le miroir depuis quinze minutes et rien n’a repoussé. J’attends toujours.
Je suis patient.
Je ne désespère pas.
Ils vont forcément repousser.
…
Peut-être pas maintenant.
…
Je vais écouter Good Times Bad Times de Led Zeppelin en pensant à Porgy and Bess de Gershwin. Rien à voir, certes. C’est le vinyle que Patrick s’est acheté dimanche chez un marchand épicurien contre une poignée de graines de sésame. J’envie cette remarquable transaction.
Maman m’appelle pour aller en cours, il est déjà huit heures. Le temps passe vraiment trop vite. Je débute cette journée par les travaux pratiques de biologie. Cette matière m’octroie des lassitudes tellement ronflantes, que parfois j’ai la sensation de trottiner dans un absurde corridor avec des rainettes qui me gloussent des railleries chafouines en plein visage. C’est une impression particulièrement terrifiante. Sans oublier que mon professeur de cette année est un métissage entre un opulent pourceau et une otarie. Il manipule tout le temps ses burnes comme si elles étaient des anti-stress. Refoulement inconscient de son fanatisme pour Michael Jackson lors de sa puberté, sans doute.
Maman m’appelle encore. Je cherche mon unique pull. Je le trouve sous mon lit avec un paquet de clopes à la menthe, un cafard mort, la pochette de l’album Bookends de Simon & Garfunkel et un vieux morceau de pain rassis. Je descends dans la cuisine.
Maman hurle en me voyant.
Je crois qu’elle ne supporte pas ma nouvelle coupe de cheveux. Je tente de trouver des arguments convaincants : « Mais maman, tu feras des économies de shampooing ! Y’aura plus mes cheveux qui boucheront la baignoire! Je ne te piquerai plus tes élastiques ! »
Elle hurle encore.
Ce n’est pas ma nouvelle coupe de cheveux qui angoisse ma mère, c’est le tatouage du drapeau américain façon Jasper Johns, que Marshall m’a taillé sur le cou cette nuit. En fait, c’est l’ensemble de mon apparence qu’elle trouve choquante. Elle n’arrête pas de crier, je ne sais pas comment elle fait pour avoir autant de force dans la voix. Elle est pire que Marilyn Burns dans Massacre à la Tronçonneuse.
J’enfile mes tongs noires, mon écharpe grise et mon sombrero mexicain. Je pense qu’elle finira bien par se livrer à un mal de gorge épouvantable.
En voiture, elle gronde mon frère et moi. Elle mélange un peu nos stupidités. J’ai I‘m Free de The Who dans la tête. Mon cerveau s’assèche peu à peu. Je convoite surtout un lit pour dormir, j’ai envie de me plonger doucement vers les ombres bleues de l’océan des rêves. I’m free, I’m free, and freedom tastes of reality. I’m free! I’m free, and I’m waiting for you to follow me…
Elle dépose mon frangin au collège, puis moi au lycée… Dans le pivot bourgeois de l’Enfer Cylennois...
Tout le monde rit en me voyant, comme d’habitude.
Je me suis toujours comparé à Gregor Samsa. Savez-vous que le cafard est le seul animal à résister à la radioactivité ? Leur origine date de la période silurienne, il y’a environ 350 millions d’années. On en trouve dans le monde entier. En un an, une femelle peut engendrer un demi-millions de descendants. Les cafards font partie de la famille des Dictyoptères. Il existe des espèces ailées et des espèces aptères. Ce sont des insectes lucifuges, thermophiles et hygrophiles, qui se sont adaptés à la vie dans les habitations humaines, exerçant leurs ravages dans les réserves alimentaires. Ils peuvent en outre être très dangereux à cause des parasites qu’ils transportent. Si un jour, le monde était terrassé brutalement par des bombes atomiques, ce sont les seuls crétins qui resteraient vivants pour se faire une fiesta avec du pain aux fromages. Pourquoi ne commencent-ils pas une invasion pour s’emparer du monde ? Mystère. Ou peut-être l’ont-ils déjà commencé ? Ou sont les biscuits que j’avais caché au fond de mon sac ? Néanmoins, ils subissent chaque jour le mépris… Suis-je un cafard ? Probablement. Et c’est ainsi que toutes les questions qui me tourmentaient, venaient d’obtenir les réponses.
Je rejoins Marshall près des casiers jaunes. Il m’annonce que sa tutrice n’a pas du tout apprécié le tatouage que je lui ai taillé sur le cou. Elle déteste Malevitch. Je suis pourtant assez fier de mon carré rose sur fond chair. Elle ne comprend pas cette forme d’expression artistique. Elle a brisé énergiquement la machine à laver en lui hurlant dessus. Tout le monde crie maintenant, c’est insupportable. Nos mères sont issues de la génération Freddy Krueger et de cette espèce de monstre moche prénommé Elmer. Ce qui explique pourquoi elles ont le Cri Effroyable facile.
La sonnerie du lycée retentit. Il est temps d’aller à cet ennuyeux cours de biologie pratique. Marshall finit de fumer son gant et va aux latrines vomir son petit-déjeuner. Nous ne sommes malheureusement pas dans la même classe. Tandis qu’il va en maths, je me dirige vers ma salle de biologie du mardi matin.
Le professeur n’est pas encore là.
Il a dû obstruer sa graisse apathique entre deux frontons, dans un des couloirs étroits des bâtiments de cours généraux. En attendant, je m’offre une sieste contre la porte d’entrée. Toute ma classe me fixe comme si j’étais un malade mental. Ils n’incluent pas l’information élémentaire que lorsqu’on est fatigué, il faut s’allonger. Enfin, c’est ce que m’a toujours transmis ma maman.
Je reçois une pièce de dix centimes dans la tronche. C’est un humour de mauvais goût.
Le professeur arrive avec son café. Il est tellement obèse qu’il se coince souvent dans les couloirs étroits du lycée de Cylenne. Il existe plusieurs couloirs étroits dans ce lycée : les couloirs fortement étroits des bâtiments de cours magistraux, qui sont également dépourvus de lumières, les couloirs obliques des bâtiments artistiques, enfin, les couloirs larges qui s’étriquent vers les salles de cours des bâtiments de cours scientifiques. Ne me demandez pas pourquoi les architectes ont décidé de rendre ce bâtiment aussi peu cartésien, surtout pour un bâtiment scientifique. Bref, dans ces couloirs, nous pouvons apercevoir notre professeur de biologie arriver à son aise, puis se bloquer à l’intersection qui se resserre sur sa corpulence. Alors, nous sommes obligés de lui passer pardessus pour pousser son derrière en avant. C’est une pénible épreuve à passer.
Une demi-heure plus tard.
Le professeur se frotte les testicules sur le bord de son bureau. Patrick est en train de disséquer entièrement le gammare. Moi je ne fais rien. J’attends comme d’habitude que
Patrick fasse tout le TP. J’esquisse une gonzesse en chaleur sur ma table. Elle ressemble à Embeth Kroon, l’ex de Christoph.
Soudain, une araignée avec des dreadlocks sur la tête se promène sur ma trousse. Elle me demande mon nom. Elle m’évoque mon professeur de technologie de ma quatrième. Il portait toujours un tee-shirt de Bob Marley et un bonnet jamaïcain. Il était fort sympathique. Une fois, avec Marshall et Patrick, nous l’avons vu cultiver de la marijuana sur le toit du collège. Je me souviens que des lutins allaient s’y cacher. Un jour, nous avions provoqué les lutins avec des beignets de pommes, ils nous ont alors balancé des cailloux sur la tête. Depuis, Patrick a le nez de travers et la bouche en cul de poule.
L’araignée me sourit, ses dents sont toutes pourries.
Tout à coup, elle se catapulte sur mon visage, m’agglutine du sparadrap sur la bouche, m’attache les bras et m’entraîne dans un endroit tout noir. Je suis effrayé. J’ai atrocement peur. La lumière paraît. L’araignée vient d’allumer une bougie magique. Elle m’annonce impitoyablement : « Je t’ai kidnappé! »
Non ! C’est terrible ! Pourquoi moi ?
Oh non ! Voilà qu’elle se débarrasse cruellement de mes chaussettes ! J’ai peur. J’essaye de crier, de hurler… Mais le sparadrap ! … J’aimerais crier, crier ! Je suis terrorisé. Si mes chaussettes exhalaient l’odeur du brie pourri, elle ne les aurait peut-être pas retirées ! Mais cela, je ne le saurais jamais. C’est trop tard. Maintenant j’ai froid aux pieds. J’ai une douleur abominable qui s’infiltre dans mon estomac. J’ai envie de manger une pizza avec des petits oignons, des petits lardons magiques, des petits carrés de gruyères et des petites tomates. Je vais pleurer. Je suis angoissé. Oh zut ! Quelle politesse désarmante ! Cela me fait prendre conscience soudainement, c’est-à-dire, tout à coup, là soudain, sans crier garde, que je n’ai pas encore écouté le vinyle de Patrick ! Je vais sans doute trépasser sans jamais l’avoir entendu ! Rien ne peut être plus cruel !
Elle s’en va ! Où va t-elle ? Que va t-elle faire ? Me laisse t-elle seul ? Seul sans mes chaussettes, dans ce froid et cette angoisse ? Mais quelle barbarie ! Pourquoi fait-elle cela ? Je veux m’en aller ! Je veux rentrer chez moi !
J’attends anxieusement.
J’ai Innocent World de Iggy Pop dans la tête pour me calmer. Et surtout, je pense à Marshall. Mon ami Marshall. Mon mentor, mon fidèle bras droit. J’espère qu’il ne va pas abuser de ses gants. Il ne lui reste que deux paires et nous sommes en hiver.
Je vais mourir ici c’est certain, dans cet endroit minable, cette cage brillante de richesse et d’artifice. Ma mort est proche. Toute ma vie défile devant mes yeux : de ma rencontre avec Marshall quand j’avais cinq ans…
à…
Ma rencontre avec Marshall quand nous avions cinq ans. Mon Dieu, suis-je mort depuis ce jour ?
Nous avions cinq ans.
Maman avait une coiffure triple volume et des boucles d’oreilles rose fraises des bois écrasées de quinze centimètres de diamètres. Elle portait une courte robe à rayures mauve pervenche et rose saumon, un collant jaune citron, des bracelets phosphorescents et toutes sortes de colifichets luisants. Mon petit-frère ressemblait à un petit singe poilu de deux mois. Ce jour, maman m’emmena à la maternelle avec sa Citroën rouge de merde qu’elle ne possède plus. Debby Harry chantait Heart Of Glass à la radio. Lorsque nous sortîmes de la voiture, je vis qu’elle souriait agréablement. Elle me tenait très fort la main. Je sentais sa douce chaleur qui m’entraînait dans des évasions exotiques. Je portais ma salopette rouge-gorge, mon pull jaune canari et la casquette noire Bob Dylan de l’oncle Tambourin, qu’un oiseau m’a volé depuis. J’avais aperçu Marshall tout de suite. Il jouait au fond de la salle avec des micro-machines et émettait de curieux bruits. Il portait une salopette bordeaux, un pull vert d’eau et une casquette du groupe Yes. Maman causait avec la vieille peau toute moche qui me servait d’institutrice. Je lâchai la main de ma mère pour le rejoindre. Nous fîmes connaissance et voilà.
L’araignée revient. Je la vois de loin. Elle a une lampe torche magique à la main. Elle déclare : « J’ai demandé une rançon ! »
Une rançon ! Je suis anéanti ! Qui donnerait une rançon pour moi ? Marshall Fisher, Christoph Klaüs, Patrick Chouette, Arnold Lerows, Kévin Delbeken, Benjamin Lerows, Arthur Edor et Jonathan Maquel sont complètement ruinés ! Je vais mourir ! Adieu !
Soudain! Ô Miracle de l’amitié ! Gloire à Dieu! Car voici celui qui rachète tous les hommes, voici le premier humain ! Marshall a suivi l’araignée et vient me protéger. Il écrase l’araignée et me sauve la vie. Marshall a défendu ma pitoyable existence d’adolescent débile. Victoire au cafard !

DISTRIBUTION DES NERFS FRÉTILLANTS DANS UN ORGANE CORROMPU
Vendredi 26 novembre.
Hier soir, nous étions au concert de Nine Inch Nails, et c’était vraiment très sympathique. Nous y avons vu un psychopathe cannibale beaucoup moins sympathique qui a tenté de dévorer Patrick.
Aujourd’hui, avec mes potes, c’est à dire : Marshall, Christoph, Patrick, Arnold, Kévin, Benjamin et Jonathan, nous sommes assis sur un banc au parc de Livoyler. Nous attendons avec impatience le dit Sanglier, qui doit nous apporter, depuis le jardin de Julien Le Botaniste, une bonne quantité d’herbes paradisiaques. Nous sommes en pénurie de bons et planants sentiments. Ce qu’il nous faut, c’est de quoi rejoindre mes outardes flamboyantes.
Nous attendons. Je crois que le Sanglier nous a posé un lapin.
Zut.
Pour l’instant, je ne suis pas trop hors de moi. On ne peut pas en dire autant de Marshall qui vient de se transformer en gorille géant et poilu, ni de Jonathan qui vient de se taillader le ventre avec une vieille bouteille de Jack Daniels, qui traînait près d’une poubelle.
Soudain, nous croisons Micheline. Plus clairement, c’est Micheline qui nous croise. Micheline, c’est un vétéran du mouvement Skin-Head. Il a soigneusement et heureusement quitté la branche fasciste pour une marocaine ravissante et bandante. Il nous apprend brutalement que le Sanglier est mort et qu’il est inutile de l’attendre. C’est une histoire terrible: un chasseur l’a pris pour un vrai sanglier à cause de sa pilosité forte impressionnante et abondante, ainsi qu’à cause de sa bestialité gestuelle et de sa rapidité féroce. Bref, il a succombé à une balle de chasseur et s’est fait bouffer par des petits orphelins affamés. Joie pour les orphelins, galère pour les toxicos vauriens.
C’est un peu triste. Je n’appréciais pas beaucoup Le Sanglier, mais il restait un contact fidèle et assuré entre nous et Le Botaniste. Heureusement pour nous, Marshall et Christoph possèdent encore des corrélations directes avec ce cher cultivateur.
Cependant, accablé de ne pas avoir immédiatement sa portion d’aides hallucinogènes, Jonathan fend le crâne de Micheline avec le reste de la vieille bouteille de Jack Daniels. Puis il se sauve en s’enterrant. Nous appelons l’infirmière de l’Univers, bandante assistante médicale, pour sauver le pauvre Micheline. Puis nous partons chez Christoph pour écouter une version re-mixé du Requiem de Mozart.

L’ATTAQUE DES CHEMISES DE NUIT TUEUSES
Lundi 5 décembre.
Je fume sous le préau avec Arthur avant d’aller en cours de français. Nous discutons des jambes de Tim Curry dans The Rocky Horror Picture Show..
Arthur est homosexuel. C’est d’ailleurs pour cette raison que tout le monde le déteste, sauf Arnold et moi. Avant, je méprisais Arthur. L’idée, que je pouvais le faire bander me répugnait. Mais un jour, lors d’un léger quiproquo où je croyais qu’il voulait me sucer, je lui ai transmis une divine et longue tirade en vers sur ma répugnance vis-à-vis de lui. Prit d’une rage monstrueuse, Arthur hurla pour sectionner mes huit quatrains : « Même un gay ne peut pas t’aimer espèce de troglodyte ! ».
Depuis, je suis apaisé et n’ai plus peur de traîner avec lui. Quant à Arnold, s’il l’estime beaucoup, c’est uniquement parce qu’Arnold n’a jamais rien compris aux différentes divergences dans la sexualité humaine. Il croit qu’Arthur est une juste une femme plate, poilue et mal formée. D’un autre côté, si tout le monde était comme lui, l’homophobie n’existerait pas, et déjà une partie du monde serait en paix. Arthur n’est pas un homosexuel ordinaire, il ne supporte pas l’épilation. Parfois, il porte des robes courtes avec des décolletés. Et quand nous le percevons vêtu de cette façon, si négligée et affolante, nous avons l’impression d’assister au dixième anniversaire du mondial moquette. Arthur déteste Barbra Streisand et préfère T-Rex et Glitter à Elton John. Arthur est un bon camarade. Ce n’est pas un ami dans le sens authentique, comme le sont Marshall, Christoph ou Patrick, mais c’est un plaisant camarade. Le point commun que je possède avec Arthur, c’est Dame Moquerie. C’est un point commun que j’ai également, à mon grand regret, avec Patrick, Arnold et Kévin.
Dame Moquerie n’est pas du tout une charmante personne. C’est plutôt un arrache liberté, une découpeuse de vie. Elle se présente presque partout où nous cheminons, et comme elle ne détient pas de corps, elle pénètre dans la cervelle des bourgeois de Cylenne. Dame Moquerie a été enfantée par les Pétasses de la Merdville. Les Pétasses de la Merdville sont une congrégation de nymphettes diaboliques et de quelques garçons qui crèchent dans les banlieues très chics de Cylenne. Pour les reconnaître, c’est très simple, à chaque fois que vous leurs faîtes front, vous avez tout à coup l’impression d’être face à face avec les zombies de La nuit des morts-vivants de Romero. En plus élégants certes, mais aussi en plus terrifiants.
Donc, je suis actuellement en train de fumer avec Arthur sous le préau. Et bien entendu, un petit groupe de Pétasses de la Merdville nous fixe en riant et en nous scrutant de la tête aux pieds. Et bien entendu, Arthur a envie de pleurer souffrant d’une telle malignité. Je hais cette ville.
Les Pétasses de la Merdville sont des petites bourgeoises cauteleuses et baisables. Seulement baisables. Si Baudelaire vivait encore aujourd’hui, et si c’était à Cylenne, il aurait certainement écrit milles fois plus de poèmes sur la perfidie des femmes.
Les Pétasses de la Merdville, il faut juste les sauter. Mais une fois seulement, sinon nous pouvons être écœurés du sexe à tout jamais.
Les pétasses de la Merdville se fondent dans la masse aristocratique et deviennent toutes scientifiques, avocates, architectes ou héritières. Elles fument la moquette payée par papa et maman, qui estiment que leurs filles sont des anges. Elles sont toutes aimées mais personne ne se souvient jamais d’elles. Et quand on les baise, on murmure toujours le même prénom parce qu’elles s’appellent toutes pareilles : Amy, Amélie, Emilie, Camille, Laura, Laurène, Anne-Laure, Laure-Anne, Laurence, Laurie, Céline, Cécile, Sophie, Stéphanie, Tiffany et Valéry.
Marshall arrive. Marshall n’apprécie pas Arthur. Mais en fait, Marshall n’aime personne. Il n’aime que The Flattened Courgettes, Iggy Pop, Frank Zappa, la folie de Nijinski, moi et Hazel Tobolowski. Avec Marshall, Arthur se sent normal, parce qu’il le met au même niveau que tout le monde, c’est à dire sous-terre.
La sonnerie du lycée retentit. J’ai juste le temps d’admirer le joint qu’a préparé Marshall et que nous fumerons tout à l’heure. Je vais en cours de français.
Pour continuer mon long monologue puéril sur les Pétasses de la Merdville, je vous annonce avec toute ma détresse que huit de ces spécimens abominables se trouvent dans ma charmante classe. Elles sont toutes blondes platines, les yeux bleus ou verts, des culs quatre étoiles mais des poitrines de souris. Elles sont froides et machiavéliques avec moi, mais suceuses et perverses avec les hommes très riches. Elles passent leurs temps à critiquer Patrick ou moi, à baiser, à fumer le joint. Evidemment, lui et moi, nous ne sommes pas des conventionnels de la banlieue, et cela les importune. J’ignore pourquoi, un phénomène de conditionnement à la naissance dans le milieu bourgeois : ne pas aimer les gens qui sont différents. Avec mes chapeaux, mon tatouage au cou, mon goût prononcé pour le jus de tomate au Tabasco, mon envie de masturbation pour les œuvres de Dali, et Patrick, avec ses scaphandres contre la pollution, ses nombreuses combinaisons anti-radiations, ses bottes argentées, ses lunettes rouges, ses cheveux en l’air et ses boutons, nous ne pouvons être que désapprouvés. Alors quoi ? Nous devrions supporter des pulls Sick Quillon, des Jeans Velis et des baskets Kine pour faire plaisir à tout ce magma chargé de frics ? Elles, elles se ressemblent toutes avec leur redingote noire et leurs vêtements de chez Jocelyne. On se croirait dans un épisode de X-Files. Le clonage humain existe mes amis ! Ils ont refourgués tous les hybrides à Cylenne.
Fin des cours.
Je suis fatigué de subir les moqueries de ces pseudos starlettes. Il faut faire quelque chose avant que la génétique nous transforme tous, en petits légumes déréglés de la cervelle jusqu’à la dépigmentation de la chevelure. Ce serait vraiment horrible si nous devenions tous blonds platines comme Jonathan. J’en ai tellement assez que j’en parle à Marshall. En général, Marshall méprise tout. Il n’aime personne à part moi, l’Iguane et Hazel Tobolowski. Mais aujourd’hui, il est furieux contre l’une d’entre elle, qui a objecté le pompage de sperme, et qui a tout rejeté sur son délicat pantalon en velours gris.
Le soir.
Marshall, Patrick, Christoph, un lémurien déguisé en hamster et moi, allons à la Merdville. Nous croisons Pierrot qui est profondément accablé depuis qu’il est tombé de la Lune. Nous tentons de le tranquilliser avec notre excellente diplomatie. Puis, nous nous dissimulons dans le potager de carottes de Camille Parex pour l’espionner.
Six Pétasses de la Merdville se trouvent dans sa chambre. Elles arborent d’étranges longs tee-shirts avec des animaux mignons imprimés dessus. Cela semble normalement anormal. Elles ont les cheveux attachés et ne sont pas maquillées. C’est très étrange, j’ai toujours supposé que le maquillage était naturellement imprimé à la naissance chez ces filles-là. Du Pascal Obispo traverse en boucle ces amplis démesurés, ayant étés créés en réalité, uniquement pour écouter Rock Bottom de Robert Wyatt ! Quel sacrilège ! Honte ! Patrick prend peur. Comment peut-on oser utiliser ses amplis pour diffuser de telles atrocités ? C’est de la perversion ! De la perversion !
Elles sont assises. Elles forment une sorte de petite circonférence sur la moquette fuchsine. Elles entourent étrangement le téléphone. Sans doute commencent-elles leur quête spirituelle pour invoquer un Dieu inconnu et malveillant ! L’une au fond prépare un bedo, l’unique chose qui n’est pas inhabituel ce soir. Patrick et Pierrot de la Lune entament une angoisse sans prénom à la vue de ces individus méphistophéliques. Ils exigent que nous échappions nos regards de ces rituels cabalistiques. Que font-elles ? Elles utilisent le téléphone puis raccrochent aussitôt et rient. Leur comportement est si néfaste ! Marshall les photographie discrètement. Nous voulons posséder des preuves contre cette association déréglée et grossière. Il faut rompre ces horreurs ! Tout chez Camille est dépourvu d’humanité ! Elles n’arrêtent pas de rire. Cette vision insupportable, pour nos innocents yeux, nous effraie douloureusement. Patrick sent l’angoisse lui taillader les veines. Pierrot pleure. Il veut retourner sur la Lune. Cette animosité le bouleverse affreusement.
Nous partons. Nous en avons assez vu. Elles ne se masturbent pas avec des stylos Bics, elles n’écoutent pas d’ElectroPunk en se frappant dessus, elles ne se bastonnent pas la tête à coups de polochons en petites culottes, elles n’égorgent pas de poulets en réveillant Astaroth ! C’est vraiment horrible ! Elles sont beaucoup trop monstrueuses ! Patrick laisse s’échapper de ses orbites de grosses gouttelettes de larmes douloureuses. Il est le plus sensible. Demain, nous présenterons ces photos à la police en espérant que ce cartel de pureté et de conformité cesse de corroder l’âme des êtres marginaux.

L’INVASION DES PUCES ELECTRONIQUES
Samedi 11 décembre.
Maman m’appelle pour aller en cours. Je suis encore dans mon lit. Il faut que je me prépare. Elle m’appelle encore. J’ai rêvé d’elle cette nuit. Elle était devenue une catcheuse professionnelle et se battait contre Hulk Hogan. Je déteste Hulk Hogan. Je me lève. J’enfile ma salopette qui s’est agrandie à cause d’un cheval frileux du Texas. Mon unique pull est au sale, Marshall a fumé mon sombrero mexicain. Je mettrai mon bonnet Snoopy. Marshall est en manque de plantes chimériques, alors il fume n’importe quoi, des chapeaux, des gants, des serviettes hygiéniques, des tissus du Congo, n’importe quoi. Maman m’appelle. Mon frangin dort. Il n’a pas cour aujourd’hui mais je fais exprès de le réveiller avec le vinyle Porgy And Bess que j’ai fini par voler à Patrick.
Maman m’appelle. Je descends. Elle me crie dessus parce que je n’ai rien sous ma salopette et il fait quatre degrés. J’enfile une grosse doudoune grise, trois écharpes, mon bonnet Snoopy, mes snow-boots violets et mes moufles jaunes. En voiture, maman m’engueule. Elle croit que je me drogue, que je fume des joints et que je prends de l’extasie.
Arrivé au lycée, Marshall me chope le bras violemment. Il est en manque de plantes mirifiques.
A la Merdville, on ne trouve pas que des Pétasses et des Cyphoscolioses, on trouve aussi Julien Le Botaniste. Ce type est incroyable. Une fois, il a fait l’amour à une belle demoiselle en sautant d’un parachute, c’était vraiment surprenant. C’est Julien qui vend la drogue à Marshall, et il faut absolument le trouver sinon il va fumer mes snow-boots. Nous le cherchons partout. Nous croisons Patrick qui m’accuse de lui avoir volé le vinyle de Gershwin. Je le rassure en lui affirmant que je lui rendrais lundi. Puis, nous croisons un ami de Julien, il s’appelle Jeremy. Ce dernier, est un petit jouvenceau fort étrange. Plus étrange encore que le musicien Nick Cave. A chaque fois que nous causons avec Jeremy, il nous répond toujours la même chose : Je n’ai pas d’émotions.
Je regarde Marshall, nous tentons le coup.
« Excuse-moi vieux, mais tu ne sais pas par hasard où se trouve Julien ?
- Je n’ai pas d’émotions.
- C’est très intéressant, mais ce n’est pas du tout la réponse à notre question. Du moins je n’en ai pas vraiment l’impression.
- Je n’ai pas d’émotions.
- Petit, tu vois le gorille qui est à côté de moi (Marshall, quand il est en colère, se transforme en gorille très poilu, plus poilu que le singe-rat de Braindead, plus poilu que le mondial-moquette man), et bien, ce cher gorille possède des réactions totalement imprévisibles. Et je te conseille fortement, avant qu’il ne se fâche, de répondre au moins une réponse correcte, qui engage notre question, un peu comme le Jéopardy, mais dans un ordre réglementaire. Surtout pour mon ami le singe.
- Je n’ai pas d’émotions. »
Le coup de grâce ! Je sens que Marshall va faire une crise. Il est naturellement fou. Il n’aime personne à part moi et Hazel la none qui veut devenir la maîtresse spirituelle du Christ, pour des raisons incompréhensibles d’ailleurs. Bref, Marshall va congestionner son foie. Mais non, c’est surprenant, il n’a pas la même réaction que d’habitude. Il semble perdu, au fond d’un minable gouffre. Il émet comme un garçon geignard, un galimatias glauque guidé à Géhenne.
Jeremy s’en va, mais ne me laisse pas indifférent. J’ai l’intention secrète d’enquêter sur cet individu étrangement étrange. Marshall, comme promis, se met tout à coup à hurler. Il prend les cheveux de Camille Latex qui passait inopinément par-là, et la battit contre les casiers avec l’énergie obstinée des chefs de services qui veulent manager leurs employés. Il lui vole son pull jaune canari et commence à le fumer. Moi je m’en vais. Je décide de suivre Jeremy qui me paraît étrangement étrange.
Il va dehors.
Il ouvre son sac.
Il prend une cigarette.
Il l’allume.
Il la fume.
Tous ces gestes sont extrêmement curieux.
Je mets mes lunettes de soleil et enfile mon grand anorak beige qui s’est miraculeusement retrouvé sur mon bras, pour sembler discrètement discret.
Soudain, je sursaute ! Christoph m’a effrayé en arrivant derrière moi : « Qu’est-ce que tu fais, tu sembles bizarre ?
- Chut, tais-toi !
- Qu’est-ce que t’as ? chuchote-t-il. »
Je lui montre Jérémie, dont j’ai changé l’orthographe pour des raisons totalement obscures, et lui confie que je l’espionne. Christoph me comprend. Lui aussi pense que c’est un démoniaque dément délétère despotique désaxé défectueux. Jeremy jette minutieusement sa cigarette. Il entre au lycée. Nous le suivons sur la pointe des pieds.
Il pénètre dans les vestiaires des hommes. Nous nous cachons dans les douches comme deux antiques homosexuels et l’épions comme deux vieilles grognasses perfides.
Tout à coup, Jérémie sort une prise mâle de sa jambe. Je n’en crois pas mes yeux ! Jérémy tire sa rallonge et la plante dans une prise femelle. C’est incroyable ! Il commence à avoir des petits spasmes et ses yeux deviennent rouges. Ah ! Au secours ! Jeremy est un cyborg ! C’est terrible !
Précipitamment, Christoph et moi sortons des toilettes en hurlant comme des pucelles tranchées. Nous courrons pour rejoindre Marshall et lui annoncer la tragique découverte. Mais non! Il est bientôt huit heures vingt-neuf, tout le monde est déjà défoncé ! Que faire ? Nous sommes tout seuls avec cet horrible secret.
La sonnette du lycée retentit. Christoph se jette sur un reste de bedo qui traîne dans une poubelle. Je vais en cour la sueur dégoulinant le long de mes vertèbres.
Dans le couloir, je croise Jérémie. Je hurle. Ah ! Il me prend le bras et m’enferme dans les toilettes avec lui. Je hurle. Ah! plus convaincant que Oh! ou Hi Hi Hi! Il met sa main glacée sur ma bouche. Mon cœur bat tellement vite qu’on se croirait dans une course de Formule un. C’est terrible ! Je vais mourir c’est sûr. Assassiné par un androïde du futur exterminateur de larves !
« Erman, tu as découvert mon secret.
- Non ! Je mens, réflexe de survie de l’insecte que je suis.
- Arrête. Je sais que tu sais.
- Ne me tue pas ! Je t’achèterai de l’huile ! Je t’apporterai des piles ! »
Je m’agenouille devant lui comme un pitoyable asservi et lui baise la main. Il me redresse et m’avoue : « Je ne vais pas te tuer. Je suis un simple cyborg envoyé par des vénusiens pour une mission de haute importance.
- L’extermination de la race humaine ?
- Mais non, je suis sur Terre pour vous étudier.
- Pourquoi faire ? On n'est pas du tout intéressant ! C’est vrai, on fait des guerres, on crève de crises cardiaques, on a des maladies tropicales ! On fabrique des téléphones portables pour détruire la communication instantanée. Nous sommes moins poilus que des gorilles… Nous ne sommes pas intéressants. Moi je ne veux pas qu’on m’étudie. C’est vrai, vous les Vénusiens, vous volez l’intimité de nos chers concitoyens… (Je parle très vite pour éviter de chier dans mon froc tellement cette histoire me fout les jetons).
- Erman, nous n’allons pas vous tuer.
- Je n’ai pas confiance en toi, je ne te connais pas, c’est vrai, en plus t’es bizarre, tu prononces toujours la même phrase exécrable…
- C’est une phrase que j’aime beaucoup.
- Elle est anti-humanité. C’est vrai, ça signifie que… (il faut que j’arrête d’être désagréable, je vais finir par m’en faire un ennemi). Ca va bien, ça te plait comme planète? Pas trop polluée? Pas trop prise de tête?
- Non, c’est cool.
- Cool, je dois aller en cour maintenant.
- D’accord, mais garde ce secret précieusement.
- No problem, au revoir. »

TARTIFLETTE
Mardi 14 décembre.
J’arrive en cours. Je croise Amélie.
Amélie, ce n’est pas un humain, c’est du jambon avec des baskets Tercio Sacchini. Elle sent bon. Tout le monde a envie de la grignoter, même Lucie qui est végétarienne. Seulement, le proviseur monsieur Pascow nous l’a formellement interdit sous le prétexte qu’elle a le droit de vivre. Parfois, j’aimerais l’ajouter dans mon assiette à la cantine, mais le proviseur me renverrait et je ne tiens pas à risquer le coup pour du jambon.
Donc je la croise. Elle me regarde méchamment car elle sait que l’envie de la manger me percute l’esprit à cet instant.
Je vais près des casiers, là où Marshall fume toujours sa dixième cigarette de la journée. Etrange, il ne fume pas.
C’est même plus qu’étrange, c’est incroyablement surprenant.
Je le fixe. C’est là qu’il m’annonce calmement, ses mains sur mes épaules : « Marshall, cette nuit, un Dieu m’a parlé.
- Lequel ? Keith Moon ?
- Jimmy Page.
- En personne ? !
- En personne.
- Il était tout seul ?
- Non, il y’avait une guitare avec lui.
- Waouhh ! Et qu’est-ce qu’il t’a dit ? !
- Il m’a révélé un truc important et tragique pour mon avenir.
- Ca alors ! Et c’est quoi ?
- Tiens-toi bien. Il m’a affirmé la venue de ma sociabilité si je continue de fumer.
- Oh non, c’est trop nul.
- Non ce n’est pas nul Erman ! Saches que je refuse de devenir sociable! A partir de cette seconde, j’arrête de fumer.
- T’es sûr que c’était Jimmy Page et non Blixa Bargeld ?
- Joints, cigarettes, cigares et autres, c’est terminé ! »
Cela m'étonne. Je secoue Marshall : « Qui êtes-vous? Qu’avez-vous fait de Marshall ?
- Erman, c’est moi. » C’est un cliché.
Je le lâche et le regarde droit dans les yeux. Lorsque Marshall ment, ses yeux deviennent verts alors qu’ils sont marrons. Ils sont toujours marrons. Marshall aurait alors décidé d’arrêter de fumer ?
C’est tellement incroyable que j’ai envie de jouer le début de Shoeshine Girl de Iggy Pop avec ma vieille guitare désaccordée.
Je ne peux pas le laisser tout seul dans cet Enfer Dantesque ! Euh non, c’est pire.
Ok. Et si j’arrêtais de fumer ?
« Par solidarité et parce que tu es mon ami, j’accepte de participer à cette dure épreuve avec toi et je décide de cesser tout contact avec une mignonne cigarette ou un sympathique joint. »
Toute la journée, nous étions morts de faim. Sans compter que nous croisions Amélie tout le temps et que son odeur généreuse s’imprégnait dans nos synapses. Nous l’imaginions en raclette avec du fromage, du persil et des œufs à la coque. Nous l’imaginions avec un bon morceau de pain et du beurre. Nous l’imaginions avec des petites pommes de terre sautées à la poêle. C’était une sensation à la fois insupportable et obsessionnelle. Nous ne pouvions pas penser à autre chose. La faim nous paralysait le crâne et dansait dessus avec des talons aiguilles. Des trous se perçaient sur nos têtes abrutis par le désir de manger Amélie. Nous ne pourrons pas résister longtemps…
Soudain, voilà que nous croisons par ce bel après-midi de froid et de faim, l’Homme Bouclette ! L’Homme Bouclette, c’est un ami de Patrick. L’Homme Bouclette a des bouclettes sur la tête. Mais plus important encore, l’Homme Bouclette est un boucher à la retraite. Question culinaire, il est le boss. Sa tuerie gastronomique est des plus alléchantes. Sa cuisine est un divin remède à nos impuretés. Il est le maître dans l’art de cuisiner, il est le maître dans l’art de couper la viande. L’Homme Bouclette est la crème des cuistots, l’élite de tous les marmitons, la quintessence du prodige gratiné. Tout ce qu’il mijote est fabuleusement ragoûtant. L’Homme Bouclette est mon héros ! L’Homme Bouclette est ma divine étoile ! L’Homme Bouclette est un prince ! L’Homme Bouclette est le seigneur de la boucherie ! L’Homme Bouclette va nous cuisiner Amélie !
Avec Marshall, nous réfléchissons en vue d’un plan machiavélique pour capturer Amélie. Nous nous sommes mis d’accord pour effectuer cette tâche dans les règles de l’art du kidnapping de jambon, procédé qui figure dans le manuel des Actions Insolites. Pour cela, le matériel nécessaire se compose d’un hachoir, d’un filet solide et d’un gentil petit bout de pain.
Pour le hachoir, pas de problème. Les engagements de Jason Voories vont enfin payer mes nombreux services rendus. Pour le filet, aucun problème non-plus, nous trouverons ce qu’il nous faut au terrain de basket. Mais le plus fâcheux donc, c’est de trouver le gentil petit bout de pain. Comment savoir si le pain est gentil ? Nous demanderons au boulanger après, mais il nous faut aussi de l’argent pour l’acheter. Nous supplions Kévin de nous gratifier une pièce magique afin d’acheter une baguette gentille à la boulangerie. Mais Kévin est aujourd’hui tourmenté. En fait, Kévin est tourmenté tous les jours. Aujourd’hui pas plus qu’hier, et bien moi que demain. Alors, il refuse mais nous parle de sa dernière gastroscopie qui nous emmerde avec la plus grande vulgarité jamais révélée. Alors piètrement, je vole dans le porte-feuille de Camille Matérialex.
Plus tard.
Nous apercevons le jambon sortir des toilettes des filles. Marshall la capture discrètement avec le filet et nous lui coupons les jambes pour que personne ne devine que c’est elle. Elle hurle. Marshall l’étouffe avec le gentil petit bout de pain dont la gentillesse est franchement inutile. Elle meurt.
Plus tard.
Nous la remettons à l’Homme Bouclette pour qu’il nous la cuisine. Comme elle n’a plus ses Tercio Sacchini, il ne reconnaît pas que c’est Amélie et la cuit avec des pommes de terre et de la crème fraîche. Puis, il rajoute des échalotes et du gruyère. Nous allons chercher des couverts à la cantine et nous la mangeons.

KING KONG CONTRE GODZILLA
Mercredi 15 décembre.
Je me réveille.
Je viens de faire un rêve très particulier. J’ai rêvé que mon professeur de mathématique nous emmenait voir La Menace Fantôme au Grand Rex et qu’une vieille à côté de moi hurlait parce qu’elle perdait ses cheveux. Monsieur Freud, avez-vous une explication ? « Et bien mon cher Erman, il semble que vous souffriez d’une frustration sexuelle. La chute des cheveux signifie la perte de vos instincts animaux représentée par la pilosité, tout ceci échangé bien entendu par la science-fiction. Ainsi voyez-vous, la science fiction représente… »
Je me réveille une seconde fois. Je déteste Freud.
Maman hurle. Je me lève et me regarde dans le miroir. J’ai la Tête Du Matin Qui Fait Peur. La Tête Du Matin Qui Fait Peur peut embellir grâce à une bonne douche et un doux morceau de Janis Joplin. En l’occurrence, se sera Summertime ce matin. Ensuite, je mettrais From Her To Eternity de Nick Cave. Rien à voir certes. Mais mes goûts sont aux antipodes de mes goûts. C’est le côté schizophrénique de ma cervelle : le Moi, le ça, le Surmoi et le Moimoi. Le Moimoi, qui est aux antipodes du Moi, bien entendu, tout en restant sur la même longueur d’onde. Mon Moimoi est le meilleur ami de Moi. Cela me rappelle un film.
Maman hurle. Le miroir qui reflète mon sourire béat tremble. Il est temps de descendre et d’affronter la bonne humeur maternelle.
Plus tard.
Je sors de la salle de bain. Je sens le gel douche au kiwi. Je déteste le kiwi. Je descends dans la cuisine où maman continue de m’engueuler. Elle croit que je me drogue. Elle dit que Marshall est une mauvaise fréquentation. Le Père Noël entre. Il dit que si je continue de me droguer, je n’aurais pas de cadeaux pour Noël. Je m’en moque, cela fait plus de dix ans que je doute de l’existence du Père Noël. Mon petit frère poilu arrive dans la cuisine. Il porte un pantalon à pince et polo noir. Nous le regardons avec de grands yeux. Sa coupe Cherokee est aplatie avec du gel. Ma mère se met à pleurer de joies. Moi, je trouve cela louche. Ne nous emballons pas, ce genre de comportement ne dure pas longtemps.
Plus tard.
Je suis en cours. Patrick ronfle. Je ne comprends rien à la correction des exercices de math. Mon professeur s’agite comme une grosse pieuvre. Je ne déchiffre pas un mot. Rien du tout. Et pour renforcer mon inaptitude, les ronflements de Patrick font des interférences avec les choses substantielles que déclare le sophiste payé comme enseignant. Pourquoi suis-je venu ce matin ?
Soudain, Jérôme, un camarade de classe souvent sympathique, fan de Duran Duran et Simple Minds, hurle. Il hurle si fort que même les petits enfants sourds du Guatemala l’ont entendu. Du sang sort tout à coup de sa bouche. Tout le monde recule et crie, sauf Patrick qui dort profondément. Jérôme tremble en hurlant. Ses vêtements se déchirent comme dans l’Incroyable Hulk. Oh mon Dieu ! C’est terrible ! Il se transforme!
Le voilà métamorphosé en énorme animal visqueux cracheur de feu ! C’est horrible !
Il chope violemment Patrick et lui ouvre le ventre avec ses monstrueuses griffes. Du sang gicle sur nos faces, les intestins de Patrick dégoulinent sur le sol. Les Pétasses de la Merdville vomissent, tout le monde se précipite vers la sortie se bousculant, se piétinant… Jérôme le mutant soulève les tables, les balance contre les vitres, arrache le tableau, joue à la marelle, égorge notre professeur…
Je parviens à sortir de la salle et tente de prévenir quelqu’un de compétent, mais mieux encore ! Je croise Marshall. Marshall sait tuer tout le monde ! Je lui raconte ce qu’il se passe, ce que Jérôme a fait à Patrick. Mais Marshall s’en moque. Il n’aime personne à part moi et Hazel la none. Alors je mens. Je lui confirme que Jérôme a violé Hazel. Et là, c’est encore plus hideux que d’habitude ! La colère de Marshall monte, atteint son paroxysme ! Il se transforme en énorme bête poilue, très très poilue, plus poilue encore que mon frère, plus poilue que le dos de Kasparov. Il grimpe sur le toit du lycée et se martèle vigoureusement la poitrine avec ses points. Jérôme arrive. Marshall lui saute dessus et lui fait une prise de Jiu-Jitsu. Jérôme meurt, tombe du toit et écrase Camille Maramex. J’ai envie de manger un yaourt grecque.

LE DROGUITOLOGISTE
Mercredi 15 décembre, après-midi.
Je suis en train de manger un gratin de courgettes au fromage de chèvre et au cumin chez Patrick, qui en réalité n’est pas mort. Nous avons raffiné notre après-midi dégustation, en insérant Hot Rats de Zappa dans la chaîne-hi-fi de son oncle polyglotte. Mais ma mère vient me chercher en avance. Elle veut que nous parlions de choses très très importantes, sûrement très très rébarbatives. Je monte dans la voiture, elle démarre.
Elle m’annonce au bout d’un long silence : « Erman, je suis sûre que tu te drogues !
- Mais non maman !
- Et je ne veux plus que tu fréquentes Marshall !
- Mais maman, c’est mon meilleur ami! Je le connais depuis la maternelle ! Tu pars même en vacances avec sa mère adoptive ! »
Elle ne dit plus rien. Moi non plus.
Elle doit probablement se trouver idiote.
Elle m’agace. Je ne suis pas un mauvais fils.
Si ?
La traîtresse ! La perfide ! Elle m’emmène chez le droguitologiste ! Elle vient de me piéger ! La fourbe ! Elle s’arrête. Je refuse catégoriquement de descendre de voiture pour consulter ce savant fou. Jonathan est venu le voir une fois, depuis il est bizarre. Il se taillade le bras avec des bouts de verre non-désinfectés. Je n’ai pas envie de devenir autodestructeur ! Je ne veux pas me mutiler ! Je ne veux pas voir ce détraqué de droguitologiste ! Ce type te fait prendre des drogues légales pour arrêter les drogues prohibées. Au secours ! Maman ouvre la portière de mon côté et tire mon bras. Je me tiens à mon siège en hurlant. Je crie plus fort que l’hystérique Des Dents de la mer II. Mais ma mère possède la force de Dolph Lungren, Hulk Hogan et Daffy Duck réunis. Elle parvient à me faire sortir de la voiture en me tirant par les pieds. Je hurle toujours, mais cette fois comme Patricia Arquette dans Les Griffes du Cauchemar. Elle m’entraîne par les pieds jusqu’à l’ascenseur. Je crie d’abord au viol, puis au feu. Tout le monde me regarde, pas un pour me sauver, ni même me tendre la main. Je conteste vivement mon entrée chez ce charlatan de droguitologiste en criant plus fort que les putes blondes qui hurlent dans les films d’Hershell Gordon Lewis. Trop tard, maman est plus coriace que moi.
Il s’appelle docteur Fucking. Je déteste sa tronche. Il a la tronche d’un gars qui veut baiser son monde de tous les côtés. Je profite du moment où ma mère lui tend la main pour le saluer, pour m’échapper. Je cours, je cours, je cours, comme Forrest Gump jusqu’à la nuit. Je décide de faire une fugue et de me cacher chez Christoph qui habite aux Zacacias à Cylenne. Christoph vit dans un arbre difficile à grimper. Je frappe à sa porte en paille. J’entends son dinosaure grogner.
Christoph entrouvre la porte : « Erman ? Mais qu’est-ce que tu fous là, on est mercredi, le mercredi t’es chez Patrick !
- On devrait changer ces habitudes de merde ! Ma mère m’a piégé ! Elle m’a emmené chez le droguitologiste !
- Oh mon Dieu ! Il ne faut surtout pas aller le voir ! Le docteur Fucking est un charlatan qui veut baiser son monde de tous les côtés ! C’est horrible, qu’est-ce que t’as fait ?
- Je me suis enfui.»
Christoph attache Denver et me propose d’entrer. Il a mis Throwing Muses dans sa chaîne-hi-fi pour que la voix de Kristin Hersh apaise mes souffrances. Il m’offre de la cervoise et me conseille de prévenir ma mère sur les mauvaises intentions de ce droguitologiste malsain.
J’appelle maman sur son portable : « Allô ?
- Maman c’est moi, il ne faut surtout pas rester…
- Je sais, ne t’inquiètes pas.
- Quoi ? Il t’a fait quelque chose ?
- Le docteur Fucking est un charlatan qui veut baiser son monde de tous les côtés. Il a tenté de me vendre de l’extasie.
- Et qu’est-ce que t’as fait ?
- Je l’ai neutralisé.»
Ma mère m’inquiète parfois.

LES NEBULEUSES EXTRASENSORIELLES
Jeudi 16 décembre.
Je reçois une lettre du cyborg.
Salu Ange déchu
G pas reçu ta letre de deux page Ki ne doi pas existé et je ne comprent pa les Jacks Nicholsons. Bien que Métallisa ne soi pas mon groupe de prédilection, j’ème kan même les ravioli. Je me demande ce qui te ren si heureuse le faite tu soi de Cylenne ou que tu mange des raviolis. Et que je ne te voi plus! Enfin, tu sè, tu a des blague plus que vaseuse que les raviolis et tes métaphores n’embaillissent pas ton texte. Bien dommage qu’il n’existe pas d’appareils pour pompais les cellule grise des gens parce ke la fusion de nos cervox m’aurai donner un peu d’umanité et certainement des ravioli. J’espère que tu te doute ke notre rencontre n’est pa un azar. Tu voi, je sui come les raviolis, je ne croit pas en la destiné mé je pense ke chake persone sur Terre né avec un but fixé pour la vie. En ce Ki me concerne, je suis là pour fère souffrir toutan souffrant moi-même, n’est-ce pas tragique? Biensure, j’ai mé féblesses come tous le monde: les raviolis. Cé pour cela que je m’atake o jen plus faible que moi. Je les fé souffrir et me satisfai de leur caulère, aine et raviolis, je suis un créateur de maleurs et de raviolis. En fait ton gros blème, ce sont pas les raviolis! Sinon tu n' en mangerai pas! Dayeurs tu n’est même pas pitoyable. Quant o marc sur tes mains, la prochène foie utilise un cure-dent, il faut bien se tayader avec des vieille bouteilles de Jack Daniel, pour être sur de ne pas ressembler à un ravioli. Qui sait, je mettrai peut-être une fleur sur ta tombe.
Au revoir et dit bonjour à tes sales potes!
P.S: Tu ne sais vraiment pas manger et ça c’est vraiment bête. Quant o bisous que tu me fait, eresement que ce n’est pas un vrai, sinon je seré obliger de vivre en ermite au fond d’un pauvre raviolis.
Je n’ai rien compris, mais il me semble que c’est une lettre de menace avec pleins de fautes de syntaxes et d’orthographes. Le cyborg avait menti ! Son intention est belle et bien l’extermination de la race humaine. Il a étudié nos faiblesses pour mieux nous détruire. Il va contacter les extraterrestres et se sera la fin du monde. Il faut absolument que je prévienne quelqu’un. Je préviens Christoph.
Christoph a des relations privilégiées avec le peuple herculéen. Il connaît les Rottens Sisters. Les Rottens Sisters sont de braves femelles téméraires, séditieuses, désaxées et ingénieuses. Elles exterminent la putréfaction du monde. Elles se veulent chancres du mal. Elles ne possèdent aucune pitié pour les scélérats de toutes apparences, les boudins perfides, les félons fêlés et les déchets intergalactiques qui polluent le cœur des innocents.
Les Rottens Sisters sont trois et personne ne connaît leur vrai prénom. Elles ont déjà guerroyé une trentaine de malintentionnés avec leurs lasers. Elles possèdent des lasers à l’intérieur des yeux qui peuvent terrasser immédiatement n’importe qui d’un simple coup d’œil. C’est l’une des raisons pour laquelle personne ne les regarde droit dans les yeux. Les Rottens Sisters apparaissent par téléportation parce qu’elles vivent dans un sous-marin dirigé par le cadavre du commandant Mousteau. Parfois, elles éclosent dans les toilettes des hommes, à la cantine, dans la rue. Une fois, elles ont jailli dans la voiture de Kévin, il a failli faire un infarctus.
Plus tard.
Tous mes potes et moi attendons Christoph et les Rottens Sisters près des casiers. En ce moment, Benjamin fonde un culte autour de Gary Coleman. Il porte des tee-shirts de lui, des chaussettes avec son nom imprimé… Très bizarre ce type.
Christoph se montre enfin, suivi des Rottens Sisters. Elles sont équipées de leur uniforme de combat : des survêtements du groupe The Pogues. Elles semblent pleine d’animosités et réclament une explication pour le dérangement. A moi de leur raconter le tourment causé par le cyborg, la prise mâle de sa jambe, les extraterrestres, l’étude des humains, la recette de la bombe norvégienne au citron, la lettre, son contenu, etc. Elles m’écoutent attentivement tout en dégustant des petits biscuits sympathiques au chocolat. Puis elles essuient leurs mains sur la chemise en soie de Kévin, se regardent, lèvent le bras en criant : « Go ! »
A cet instant, elles se mettent à courir en cherchant le cyborg, qu’elles aperçoivent sous le préau en train de lécher la poire d’une blonde abrutie.
Elles sortent de leur poche un lance-missiles en forme de pomme de terre avec sèche-cheveux triple vitesse et machine à café incorporés, et mousselinent Jérémie comme une grosse purée.
Le Cyborg est éliminé.
Naze.
Mort.
Programme détruit.
Nous espérons qu’il n’a pas eu le temps de dire quoi que ce soit aux extraterrestres sur les faiblesses humaines. Maintenant que cette tragédie grecque, qui n’en était pas une, est terminée, nous allons regarder Arnold et Willie chez Benjamin. Les Rottens Sisters retournent à leurs occupations intellectuellement hermétiques.

UNE SOUBRETTE S’ÉVEILLA INCOMPLETE
Mercredi 22 décembre.
On se les gèle devant le Moon Moon Bar. Un hommage à Louis Armstrong aura lieu vers vingt et une heure. Je ne porte qu’un vieux tee-shirt troué de Captain Beefheart, mon unique pull ayant été bouffé par des punaises tueuses du Nouveau Mexique. Christoph est encore en pyjama avec des moufles rouge cerise. Patrick porte sa doudoune vert citron, son bonnet gris et son écharpe bordeaux que sa grand-mère de Bretagne lui a tricoté. Il vient de se faire opérer des dents de sagesse. Il ressemble à Vito Corleone mais avec la voix de Popeye.
Nous entrons dans un MacDonald pour manger un peu. Pierrot nous rejoint. Il nous confie qu’il ne trouve pas d’échelle assez haute pour retourner sur la Lune. Nous lui conseillons de prendre le prochain vol pour la Guyane, parce qu’il pourra y trouver là-bas de belles demoiselles comme Ariane, avec qui il pourra s’envoyer en l’air.
Patrick a mis une demi-heure pour savourer le quart d’un brownie. Le pauvre petit grand. Il ne pourra pas danser avec une jolie nymphette, il tient à peine debout avec tous ces Di-Antalvic qu’il a ingurgité. Patrick ressemble parfois à un tableau de Picasso.
Plus tard.
Nous sommes de retour dans ce froid hivernal où Christoph s’est instantanément transformé en schtroumpf. Il fait à peine cinq degrés. Nous faisons de la techno avec nos dents. Sauf Patrick évidemment. Il essaye de parler. Nous ne comprenons rien. Il ressemble à Kenny de South Park mais avec la voix grave d’un ours affamé. Nous sommes en train de faire la queue au milieu de cette masse compacte avide de Jazz pour tenter de nous réchauffer.
La splendide caissière ouvre enfin. Nous donnons notre argent et courons vers une bonne table comme des femmes transformées en tigresse, un premier jour de soldes. Dure exemple.
Plus tard.
Christoph a repris une couleur plus conforme à son origine d’humain primitif. Un premier groupe léger a tenté de nous divertir. Mais le batteur n’était pas percutant et tranchait le rythme vers une agonie mécanique, froide, insensiblement laconique. Bref, il n’avait pas d’âme. Christoph cherche désespérément des filles dans les tables voisines. Pour l’instant, nous ne voyons que des bandes de copains, des couples ou des vieux célibataires. Nous apercevons Arnold qui s’approche de nous :
« Arnold, qu’est-ce tu fous ici, on croyait que t’avais pas d’argent ? demande Christoph.
- Ouais je sais. Mais Tim m’a acheté un coffret X-Files ce matin, ce qui m’a permis de venir.
- Qui est Tim ? demande lentement et avec peine notre pauvre Patrick.
- C’est le type qui cauchemarde tous les vendredis.
- Tu connais un type qui cauchemarde tous les vendredis ?
- Pourquoi seulement le vendredi ?
- Y’a quoi qui le dérange le vendredi ?
- Bah ! Je ne sais pas moi, chacun ses problèmes. Moi, je rêve bien tous les premiers jeudis du mois, que je fais l’amour avec William Shatner à bord de l’Enterprise, répond naïvement Arnold. »
Révélation qui me laisse sur le cul, je dois avouer.
Plus tard.
Jean Pierre Dérouard et son groupe arrive sur scène. Pour l’instant, ils sont géniaux. J’ai invité une vieille dame à danser car je suis un bon courtois. Le groupe est excellent. Tout est parfait. Je suis en exaltation complète. C’est particulièrement réjouissant, rayonnant, extravagant, attrayant, exaltant, et même radieux, lumineux, majestueux, harmonieux, merveilleux ! J’ai acheté un dictionnaire de synonyme, je m’éclate comme un fou.
Plus tard.
Ils ont fabuleusement interprété une quantité d’œuvres dont Shine, Hello Dolly, C’est Si Bon, etc. Ils les ont retranscris avec une puissance orgasmique personnelle. La folie personnifiée, bien plus convaincante que celle d’Erasme, s’était incroyablement infiltrée dans l’essence des artistes. Le pianiste légèrement caché dans un coin, possédait son charme. Le contrebassiste et le batteur semblaient totalement en transe, dans un autre univers d’extases inconnu de nous et ne cessèrent de jouer que pour boire toutes les quarante-cinq minutes. Le trompettiste, le tromboniste et le clarinettiste étaient divins. J’étais réellement impressionné par le souffle infatigable de ces musiciens totalement en osmose avec leur instrument, comme si ces derniers étaient un prolongement de leur corps, un membre sans lequel, ils ne pourraient plus vivre. Patrick en a pleuré de joie, son corps s’est recouvert de luisances phosphorescentes et il ressemblait nettement plus à une Femme qui pleure quand il ressemble à un tableau de Picasso. Nous rentrons chez nous avec la voiture que nous avons emprunté à Kévin, toutes les musiques se mêlant dans nos esprits.
Le plus beau cadeau de Noël de l’année.

LA RESSURECTION DES AMES SALEES POIVREES
Vendredi 24 décembre.
Nous allons tous chez Newell, une amie à ma mère qui a un quotient intellectuel de scarabée mort. Elle habite en Alsace avec la choucroute. Christoph est tout seul encore cette année, ses parents sont incapables de cuisiner quoi que ce soit. Ma mère a accepté que lui et Denver passent les fêtes avec nous. Il se sent de trop. Je ne vois pas pourquoi. C’est la seule personne qui ne sera pas de trop à mes yeux.
Là, nous sommes serrés dans la voiture de ma mère, entre papie poilu, mon frangin poilu qui porte une combinaison sportive rose fluo et une serviette de bain jaune autour du cou, tatie poilue, ma mère, Christoph, Denver, moi, les cadeaux et le chien Boulette de ma voisine.
Ma voisine est partie à Bogota et nous a demandé de bien vouloir garder son chien. La chétive délicatesse de ma mère a accepté. Résultat, nous nous retrouvons avec un clébard qui pue de cinq tonnes sur les genoux. Ma mère a préféré placer Denver sur le siège avant, parce qu’à l’arrière il vomit tout le temps.
Beaucoup plus tard.
Voilà, nous sommes arrivés à « Destination Hantise ». Maman klaxonne comme un supporteur de football d’été 1998. Nous nous sommes mangé Abba et Les BeeGees pendant tout le trajet. Ma tante poilue s’étire laissant s’évader une odeur de putréfaction, de quoi vomir la veille de Noël. Newell sort de la maison, les gras bras tendus vers nos corps effrayés. Nous sortons de la voiture. Le père, la mère, les frères, les sœurs, les cousins, les amis, les chats, les chiens, les lapins, les poules, les brebis, les gazelles, les amants de Newell s’approchent avec leurs: « Vous voilà enfin ! ». Christoph est tout vert. Plus vert que son dinosaure.
Bien sûr, comme tous les ans, on a droit à : « Comme il a grandi ton fils! Entrez donc! Il fait si froid ! Charles va porter vos bagages ! Vous avez fait bon voyage ? Pas trop de circulation ? » A trois, tout le monde vomit. Un, deux, trois…
Nous faisons la bise à tous ces poireaux et pénétrons enfin la chaleur non désirable de ce foyer. Quelques mioches nous dévisagent, la bouche pleine de bulles de salive. Nous entendons les cris de stupeurs des autres parents choqués par mon apparence et celle de Christoph. Ils hésitent même à nous dire bonjour, au cas où nous leur refilerions la joie de vivre.
Plus tard.
Je suis dans le salon avec Christoph, Boulette, mon grand-père et un gosse bizarre. Les mères, les vieilles et les laides prennent du thé au citron dans la salle à manger, vantant les mérites de leurs progénitures, (seule ma mère ne dit rien, il semblerait qu’elle est honte de moi) et bafouant leur époux. Ces derniers sont dans le garage, en train d’admirer la divine voiture de l’oncle du cousin du copain de Newell. Pendant que papie feuillète un vieux magazine de pêche, que Boulette mange le tapis de Newell, que le gosse bizarre se tape la tête contre le mur en disant « Je me déteste », Christoph et moi nous nous remémorons le concert de Jean Pierre Dérouard, avant de s’inquiéter vraiment pour ce pauvre petit.
Je demande à mon cher grand-père : « Papie, est-ce qu’on doit laisser ce gosse se maltraiter ou il faut prévenir quelqu’un ?
- Il saigne ? me questionne mon grand-père.
- Non.
- Bah si y saigne pas, y saigne pas.
- Tu veux qu’on attende qu’il saigne ?
- Il a sans doute une bonne raison.
- Papie, il a trois ans, et il n’arrête pas de dire qu’il se déteste.
- Il a sans doute une bonne raison.
- Alors, on le laisse comme ça ?
- Chais pas. C’est pas mon gosse, c’est à sa mère de s’en occuper tu crois pas ?
- OK, mais elle est peut-être pas au courant.»
Mon grand-père pose son journal, se lève, s’approche du petit et lui demande: « Qu’est-ce qui t’prend mon p’tit ?
- Je me déteste.
- Mais pourquoi mon p’tit gars ?
- Parce que. Fous-moi la paix !
- Et tu crois que c’est une solution de se taper sur la tête ?
- Je me déteste. »
Mon grand-père s’assoit sur le canapé et me regarde : « Il se déteste, il a sans doute une bonne raison. » Puis reprend son magazine et lit.
Le soir.
Tout le monde se retrouve autour des tables et s’apprête à festoyer le foie gras, le saumon, les huîtres, les crevettes et cette pauvre dinde qui s’est farci des marrons dans l’arrière-train. Tout le monde rit, pleure, hurle, digère l’apéritif de tout à l’heure en se racontant les mêmes blagues pourries de l’an dernier. Christoph a des nausées. Il ne fréquente jamais ce genre de soirée, c’est tout nouveau pour lui. Comme d’habitude, les hommes sont lourds d’esprit, déjà saouls et irrécupérables. Les femmes sont hypocrites, intolérantes et sottes. Les gosses sont chiants, bruyants, capricieux et agités. Les adolescents présents sont superficiels, malheureux et égoïstes. Bref, un soir de Noël tout à fait traditionnel.
Newell nous a malheureusement placés avec les adolescents : « T’as écouté la dernière chanson de Britney Spears ? – Non, en ce moment j’ai une période techno tu vois. – Pourtant, sa dernière chanson est vraiment trop top. – J’ai raté Dance Machine l’autre jour, y’a personne pour me dire comment c’était ? Y’avait Larusso ? – Je me suis acheté cette robe chez Jenner. – J’ai la même. – Moi aussi. – Moi aussi. – Putain, c’est trop chiant, j’essayerai de la rendre la prochaine fois alors. – Ma mère ne veut pas que je me frise les cheveux, elle comprend pas que je peux faire ce que je veux maintenant, je suis bientôt une adulte. – Tomb Rider c’est trop fort. – Je suis presqu’à la fin. – Je kiffe Lara Croft, je me la ferai bien. – Si j’ai mon brevet, papa m’achète un scooter… »
Je crois que Christoph va vomir. Des mioches tripotent Denver comme si c’était un phénomène de foire. J’essaye d’intercepter son moral en lui causant des mélodies désorientées de Sonic Youth.
Plus tard.
Newell rapporte la première dinde sur la table. Etrangement, elle me rappelle quelqu’un. L’ensemble de cette dinde, toute luisante de sauce m’évoque fortement quelque chose. Une personne bien précise, mais qui ? Tout en l’observant, des noms me viennent à l’esprit. Est-ce Valery ? Non. Camille alors ? Non, ce n’est pas encore ça. Magali ? Non plus. Laura ? Laurence ? Laurie ? Non, non, rien de cela. Mon prof de biologie peut-être ? Non, toujours que dalle.
Soudain, la dinde se lève. Tout le monde hurle et se recule des tables. La dinde me regarde de ses yeux inexistants et me dit : « Enflure ! Je suis revenue pour me venger ! » Cette voix ! Ce regard ! Mon Dieu ! C’est Amélie le jambon réincarné en dinde de Noël ! Oh mon Dieu ! Que faire ? Sans Marshall je suis impuissant ! Il est mon viagra !
Ma mère, comme si c’était le moment me gronde : « Quoi ? Mais qu’est-ce que tu as fait avec cette pauvre fille ? »
Alors, comme si c’était le moment, je lui raconte cette dure journée où nous avons pris l’initiative de ne plus fumer. Et là, ma mère me félicite, parce qu’elle est contente d’apprendre que je ne fume plus. Mais voilà que la dinde se jette sur moi et tente de m’étrangler avec ses pitoyables petites ailes. Dans la panique, tout le monde hurle, et moi je cours à travers la pièce, la dinde à mon cou. Le gosse fou qui se tapait la tête contre les murs est mort de rire. Je continue de courir. Tout le monde continue de hurler. Quand soudain, avec brutalité, papie poilu la prend à pleines mains, mais la dinde gigote dans ses bras, il la jette à terre et ma mère la matraque avec une poêle, de la sauce et de la graisse giclent partout sur le sol. On dirait un vieux film gore gastronomique. C’est horrible et succulent à la fois. La dinde ne bouge plus. Elle semble enfin morte.
Voilà, pour la seconde fois, je mange Amélie.
Aller, joyeux Newell à tous.

LA PROVIDENCE ERECTILE
Lundi 3 janvier.
Demain, c’est la rentrée. Je hais la rentrée. J’ai passé la fin de mes vacances chez papie poilu en compagnie de Christoph et de son dinosaure. Il nous a appris de nouveaux jeux de carte très instructifs, dont le craque-pète allemand. Au nouvel an, nous avons regardé le Jamil Show, avant de balancer des toasts à la confiture d’abricot au plafond.
Je suis chez Marshall, nous écoutons Iggy Pop, le type le plus incroyable du monde, plus incroyable encore, que l’Incroyable Hulk, qui au fond, n’a rien d’incroyable, si nous le comparons à Iggy Pop. Voilà comment vous pouvez dire une même chose dans une même phrase.
Nous allons à la Merdville, chez Julien le Botaniste, pour revendre les cinq kilogrammes d’herbes que Marshall ne veut plus fumer. La charmante maison de Julien, est protégée par un cochon difforme qui répond au nom de Nathanaël. Il est tout rose avec des petits poils gris sur la tête.
Nous discutons avec Julien. Ce dernier refuse de reprendre ses cinq kilogrammes d’herbes. Alors Marshall décide de devenir dealer jusqu’à qu’il ait tout vendu.
En sortant de chez Julien, nous croisons la belle Hazel Tobolowski avec quatre de ses amies. Toutes alléchantes les unes que les autres. Marshall devient tout rouge comme les collants de Spiderman. J’entends même son pauvre cœur frapper promptement sa poitrine, comme si Jimmy Chamberlain jouait de son instrument juste à côté de mon oreille. Marshall devient tellement rouge, que j’ai peur que sa tête explose comme dans le film Scanner de David Cronenberg. Je sais qu’il a très envie de fumer. Marshall est comme ça, c’est mathématique : panique plus pression égale joint. Mais il serait vraiment bête de reprendre maintenant. Surtout que nous savons tous les deux, que cinq kilogrammes de verdures exaltantes reposent paisiblement dans son sac, et ne demandent qu’à être fumées. Nous commençons d’ailleurs à les entendre ces chiennes d’herbes : « Fumez-moi, fumez-moi, je suis si seule…». Marshall est tellement compressé dans son atmosphère, qu’il pourrait par un tour à la David Copperfield, faire disparaître toute cette herbe par les poumons. Non, il faut résister. Il tremble comme une pauvre vieille feuille morte dans le vent d’automne. Hazel nous observe avec ses grands yeux lumineux pleins de caresses. Parmi ses amies, Mandoline, que je connais bien ayant chassé les vampires avec elle lorsque nous avions dix ans, nous dit bonjour. Ses somptueuses amies poursuivant ainsi cette glorieuse et jouissive politesse, nous pûmes enfin entendre pour la première fois, la douce voix évangéliste de la bien-aimée de Marshall. Courtoisement, je réponds. Marshall, non. Je le regarde choqué. Il ne dit rien. C’est la première fois de ma vie que je vois un air aussi stupide sur son visage. Je suis choqué. Je lui donne un coup dans le bras, histoire de lui faire comprendre que son impolitesse est fortement déplacée. Il ne dit rien. Il fixe sans relâche sa délicieuse future none. Elle semble gênée. Marshall est d’habitude, un être invincible. Il est le seigneur des seigneurs. Un noble et invulnérable empereur. Un divin diamant incassable. Une œuvre d’art indestructible. Un roi, un éternel prince herculéen. Une idole parfaite et robuste. L’immortel ! Et ce bouffon vient de perdre ses burnes parce qu’une bonne, bonne sœur se trouve en face de lui. Il en a même perdu la voix, c’est pire que Farinelli. Le naze. Il faut que je fasse quelque chose, sinon cette histoire va finir comme une purée de petits pois, sans petits pois. C’est mon ami, je ne peux le laisser aussi défectueux, si lamentable, si minable ! Mais elles partent, bien sûr. Elles s’en vont. Elles nous laissent comme des déchets. Dans l’horizon, nous les voyons disparaître, emportant avec elles la douceur, le charme, la volupté, la tendresse. C’est effroyable ! Marshall vient de faire la flipette ! Je le secoue vigoureusement. Très longtemps. Il est mou comme un vieux plat de nouilles à la carbonara. Il revient peu à peu à lui.
« Je suis désolé, dit-il.
- C’est moi qui suis désolé pour toi. T’aurais pu lui parler au moins une fois dans ta vie de débauché !
- Je suis un lâche, un piteux lâche. Un impuissant. Une larve insignifiante.
- Arrête, on dirait moi. Tu me fais peur.
- Je suis un simple con, alors.
- Oui, quand même.
- Je lui ai fait peur.
- Peut-être que non.
- Je vais me suicider.
- C’est une solution beaucoup trop radicale.
- Alors je vais me laisser aller. Je vais fumer ces cinq kilogrammes d’un coup, jusqu’à l’épuisement total de mon souffle et la garantie de l’anéantissement de mes cellules grises.
- Je te hais.
- Tu as raison, re-fumer serait une réaction vraiment négative et stupide. Mourir de désespoir est une excellente manière d’envisager la fin de son existence.
- T’es pitoyable.
- Je vais te tuer pour soulager ma souffrance.
- Défoules-toi plutôt sur le cochon de Julien.»
Alors Marshall pénètre d’un pas décidé dans la maison de Julien et casse la figure du pauvre cochon difforme. En voyant l’horreur, Julien nous ordonne de le manger. Puis il accepte de racheter les cinq kilogrammes de plantes fines à cause de la concurrence.

Vendredi 14 janvier.
Attention, séance gratuite de vulgarités. Chapitre interdit aux prudes.
Putain de bordel de merde de putain de bordel de merde ! Et je suis poli ! Nous venons de nous faire baiser bien profond et cela nous a fait mal comme si nous étions des petites pucelles. C’est terrible ! C’est ignoble ! C’est affreusement affreux !
Je cite depuis le MusicArdour de Jonathan, celui où The Flattened Courgettes sont en couverture :
« The Flattened Courgettes
18 janvier à Paris
( Elysée-Montmartre)
Places uniquement en vente à la salle
A partir du 15 janvier
Billets collectors + bracelets obligatoires. »
Demain, nous devrions nous lever heureux, le sourire joyeux sur nos lèvres amoureux et aller à l’Elysée-Montmartre chercher jovialement nos billets, toujours avec ce même sourire de sympathie…
…
Et bien non, on ne peut pas !
Et pourquoi vous demandez-vous ? Et bien parce que Patrick a téléphoné là-bas pour connaître les prix et on lui a gentiment annoncé que finalement, les billets ont été vendus plus tôt et qu’il n’y en a plus ! Tragédie Shakespearienne ! C’est une nouvelle beaucoup trop monstrueuse pour que nous restions là, dans l’obscurité de notre désespoir, la bouche baveuse de larmes incontrôlables ! Manquer un concert des Flattened Courgettes c’est comme si on venait de se faire plaquer par une belle blonde pulpeuse qui sait faire du gâteau au chocolat et des fellations ! C’est insupportable ! Un vide complet est en train de s’emparer de mon estomac ! Je sens que je vais vomir mon intestin grêle. Nous sommes tous dans une colère qui hésite entre le noir glacial et le rouge brûlant ! Même Marshall est très furieux. Il est encore plus furieux que la fois où je lui ais fait croire que Jérôme avait violé Hazel. Plus furieux encore que lorsqu’en 2001, Francis Baudruche lui avait volé sa boulette d’herbes afghanes. Nous venons de péter un boulon. Nos tripes descendent de nos gorges et traînent sur le sol. Jonathan a décidé de jeter un sort sur ce monde dédaigneux et méprisant. Il s’est foutu à poil au Parc de Livoyler et a dansé toute la journée autour des ruines en appelant les cénobites d’Hellraiser1, pour trucider les organisateurs de la vente des billets du concert des Flattened Courgettes.
Quant à nous, nous avons décidé de faire une manifestation de mécontentement et de désespoir devant l’Elysée-Montmartre. Nous possédons la motivation nécessaire pour ce genre de protestation. Tout d’abord, nous allons tous dormir dans l’arbre de Christoph.
Le lendemain.
Nous nous levons à six heures du matin. Nous prenons du café ou des céréales. Nous nous lavons. Nous nous habillons en militaire avec des treillis kakis, le béret, le maquillage de guerre. Avec mes cheveux rasés, je ressemble à un vrai militaire… Cela me fait tout drôle. Arthur est ridicule avec ses couettes. Marshall s’est transformé en gorille, il a déchiré sa combinaison. Je crois qu’il va rester tout nu et tout poilu. Christoph, avec ses dreadlocks et son cône de dix centimètres, n’est pas très crédible.
7h 30
Nous avons faim.
7h 33
Nous mangeons.
8h
Nous allons à la gare.
8h 21
Nous sommes à la gare. Et nous sommes idiots aussi. Le train n’arrivera qu’à 8h 52.
8h 32
Nous chantons This day This day des Flattened Courgettes.
8h 53
Le train arrive. Nous montons. Affolés, tous les voyageurs sortent du wagon. C’est à cause de Marshall, il fait peur à tout le monde lorsqu’il se transforme en gorille.
Plus tard.
Le temps a disparu.
Plus tard.
On s’arrête à la gare de Châtelet. Nous courons le plus vite possible tels de mignons petits lapins échappant le renard. Nous évacuons les métros. Marshall se tambourine la poitrine en criant un cri criard.
Plus tard.
Nous sommes devant l’Elysée-Montmartre. Nous faisons un scandale. Tout le monde s’en moque. Christoph se met à poil et s’astique le zibar en insultant tout le monde de pucelle. Tout le monde s’en fiche. C’est tellement blessant lorsque nous ne touchons personne.
Soudain ! Le ciel s’assombrit. De gros nuages noirs cachent brutalement la lumière du jour. Les oiseaux se mettent à courir au lieu de voler, les chats pleurent au lieu de miauler, l’air devient glacé à vous brûler les testicules. Une odeur de putréfaction commence à envahir nos sinus. Au loin, je vois Jonathan qui arrive, un épais brouillard derrière lui. Ce sont les cénobites d’Hellraiser, une cohorte de démons assoiffés de souffrance et de douleur ! Ils avancent en masse, transportant odeur et fumée des catacombes. Ils ont tous d’atroces visages à faire peur (ou à faire rire, tout dépend de votre caractère). Une pluie de sang mêlée de morceaux coagulés tombent du ciel. C’est l’apocalypse ! Les gens se précipitent dans des abris, magasins, restaurants… D’autres crient, hurlent, pleurent, courent dans tous les sens, souffrent, filment, jubilent ! C’est terrible ! Les cénobites tranquilles ! Les cénobites sortent leurs chaînes et décapitent les hommes trop lents pour se cacher. Des boyaux et des morceaux de cervelles giclent dans tous les coins. Un œil entre dans la bouche d’Arthur qui se met à vomir des litres et des litres de biles. Je reçois un orteil ensanglanté dans la figure, je hurle dans les aigus. La terre craquèle, s’ouvre sous nos pieds. Des monstres dégoûtants sortent de partout, dévorant les restes de corps désarticulés des premières victimes. Les cadavres se multiplient. On se croirait dans un film de Peter Jackson. A l’exception des viols de Jonathan sur des blondes aux gros nichons. Alors qu’il en pénètre une avec beaucoup d’acharnement et qu’elle hurle comme si on l’égorgeait, Patrick lui fait une tape sur l’épaule : « Qu’est-ce tu fous, on traite pas les filles de cette manière bordel ! C’est fini le Moyen Age, un peu de respect bordel !
- C’est… C’est… Attend… putain… Je vais… éjaculer.»
Plus tard. Alors que les cénobites continuent de trucider tout le monde.
« T’as fini là ? On peut te demander ce qui te prend bordel ? T’es un adulte maintenant, faut arrêter les conneries. Le viol c’est un crime bordel !
- Non ! C’est la fin du monde car je vais rater le concert des Flattened Courgettes !
- Mais putain, on a tous un degré de colère mais le tien ! T’es à jeter dans un asile mon pauvre vieux ! Ton égoïsme est impardonnable ! Y’aura d’autres concerts après ! Et merde, tu ne vas faire exploser cette planète ! Mais t’es pas bien bordel ? Et qu’est-ce qu’il en pense ton père ? Il est au courant que tu es en train de foutre le bordel sur Terre ? Il est au courant que tu violes des filles comme ça, sans lui demander son accord ?
- Non. Je vais sans doute me faire encore tuer en rentrant ce soir. T’as raison. Vaux mieux arrêter tout ça. »
Il ordonne aux monstres de retourner en Enfer. Et nous, traversant cette tuerie, nous prenons le prochain métro et rentrons à Cylenne.

Samedi 22 janvier.
Je vais chez Christoph. Les Rottens Sisters vivent chez lui depuis que leur sous-marin a coulé. Christoph affirme qu’elles sont parfois exaspérantes, surtout parce qu’il ne peut pas les franchir, mais que leur présence originale est indispensable pour la survie de tous les marginaux, sociopathes, anticonformistes et tarés du système interstellaire.
En fait, je vais chez Christoph aujourd’hui pour fabriquer un canard bionique capable de faire des sauts de plus de quatre cent mètres. Cette invention est sans aucun doute parfaitement inutile, mais elle nous permettra de passer le temps, parce qu’à Cylenne on s’ennuie profondément. Et je pèse mes mots, croyez-moi.
Sur le chemin qui mène à l’arbre de mon ami allemand, je croise Arthur. Il m’annonce avec beaucoup d’angoisse que sa voisine est la réincarnation d’Erzebeth Bathory. Je lui réponds que c’est cool, on viendra filmer plus tard. Alors il me raconte une histoire sur un homme qui est devenu une femme grâce aux progrès de la médecine et qu’il hésite entre se faire la même chose ou de se teindre les cheveux en blonds, car il paraît que le blond est en ce moment très tendance chez les gays. Je lui réponds que c’est cool mais que je m’en moque. Ensuite, il me confie que sa manucure a un cancer et qu’il va lui offrir des fleurs à trois cents balles. Je lui dis que ça lui fera vraiment plaisir. Et là je vois mes lecteurs qui commencent à s’endormir alors je vais directement chez Christoph.
Plus tard.
L’arbre de Christoph est le seul du quartier à avoir résisté à la grosse tempête de décembre. Les Rottens sisters sont dans la cuisine. Elles font un élevage de plancton du Pacifique. C’est sympa. Je ne suis pas sûre qu’elles arriveront à quelque chose mais c’est sympa. Lorsque je regarde dans l’aquarium, je ne vois rien. Elles les nourrissent avec des produits diététiques et des fruits exotiques qui pourrissent au fond.
Christoph a mis Electric Ladyland de Hendrix dans sa chaîne-hi-fi. Nous allons sur son balcon pour prendre un canard. Soudain, en bas, nous voyons la Petite Boule. La Petite Boule, c’est une horreur de la nature que nous détestons fermement. Nous ne la haïssons pas seulement parce qu’elle roule, mais parce qu’elle raconte des mensonges sur nous à tous les voisins de Christoph. Normalement, c’est le genre de chose qui nous laisse complètement indifférents, mais lorsque cela vient jusqu’aux oreilles de belles pulpeuses fortement bandantes, cela nous gène particulièrement. Et c’est le cas en ce moment. La Petite Boule est méchante, antipathique, méprisable, perfide, cruelle. Bref, de la voir marcher sous notre balcon, nous donne envie de lui balancer le canard sur la face. Mais nous ne le ferons pas, nous avons beaucoup trop besoin de ce canard pour passer le temps.
Je pense qu’il faut apprendre à notre futur canard bionique, à catapulter des excréments acides sur les gens de cette espèce. Mais cette fabrication serait des plus compliquées, et nous ne possédons pas de toute façon, les moyens financiers pour créer cette œuvre des plus fascinantes.
Comment se débarrasser de la Petite Boule ? Peut-être est-ce au fond impossible ! Nous ne pouvons demander assistance aux Rottens Sisters, elles sont beaucoup trop occupées à donner un nom à chacun de leurs planctons. Nous ne pouvons demander renfort ni à Marshall, ni à Jonathan, ils sont tous les deux (et oui, c’est étonnant, mais parfois Marshall fait appel aux génies sataniques de Jonathan) occupés à faire de la sorcellerie pour ramener Harry Houdini à la vie.
Jonathan est un ami qui est atteint par une très grave maladie dont le nom n’existe pas. Il possède des cornes sur la tête. La première fois que je l’ai vu, je me suis moqué de lui. Lorsque j’ai su que c’était un des fils de Satan, je me suis encore plus moqué de lui.
Bref, la question d’éliminer la Petite Boule n’a toujours pas été résolue !
Nous réfléchissons.
Longtemps.
Très longtemps.
Le crâne de Christoph commence à fumer.
Soudain la sonnerie inexistante de la porte en paille de la maison de Christoph retentit. Denver se précipite vers l’entrée la langue pendante. Nous allons ouvrir. C’est justement Marshall, Jonathan et le cadavre vivant de Harry Houdini. Christoph les invite à pénétrer sa noble demeure en bois.
Plus tard.
Nous mangeons des biscuits au beurre en écoutant Harry Houdini, qui nous raconte sa vie et celle de notre héros Buster Keaton. Nous évoquons notre désir de nous débarrasser de la Petite Boule lorsque soudain, la sonnette de la porte d’entrée hurle qu’il y’a quelqu’un à la porte : « Il y a quelqu’un à la porte ! » Porte. Porte. Porte. Mes professeurs de littérature m’ont affirmé que les répétitions rendaient les textes profondément nazes. Porte. Il faut utiliser des synonymes. Porte. Embrasure. Sas. Portique. Portillon. Orifice. Je préfère ce dernier. Je me lève pour ouvrir la Porte qui jouxte le corridor.
C’est Arthur. Il a peur de sa voisine de gauche. Nous tentons de le rassurer. Peut-être ne ressemble-t-elle que physiquement à Erzebeth Bathory ! Mais rien ne le rassure. Il est convaincu. Pour en avoir le cœur net, nous capturons la Petite Boule et la déguisons en femme de ménage. Elle n’arrête pas de crier au viol alors que franchement, elle est sexuellement très indésirable, elle n’a rien à craindre de ce côté là. Nous la jetons chez la voisine de gauche de Arthur et espionnons par la fenêtre. La Petite Boule se met à frapper la porte en hurlant de la laisser sortir. Puis, soudainement, nous la voyons. Ténébreuse beauté envoûtante… Elle descend lentement l’escalier de bois clair, laissant sa longue traîne de velours rouge glisser sur les marches. Sa poitrine volumineuse est adorablement peu couverte d’un léger tissu rouge transparent. Ses longs cheveux noirs sont attachés avec des barrettes de perles pourpres. En bas des marches, elle s’arrête et observe de son regard délicieux l’autre pauvre hystérique qui frappe à sa porte.
Au bout de quelques secondes, elle remue la bouche. Zut, on entend que dalle ! Jonathan par la force de ses pouvoirs obscurs, nous transmet ses paroles : « Qui êtes-vous et que faîtes vous ici ?
- Laissez-moi sortir !
- Mais tu es libre de partir, je ne te retiens pas.
- Laissez-moi partir !
- Que ta peau est jeune ! »
La Petite Boule cesse son vacarme. N’importe quelle fille revient à la raison lorsqu’elle discute beauté. Elle se retourne et prononce un petit merci, puis ajoute : « La vôtre aussi est très jeune.
- Il y a intérêt, avec tout le mal que j’y mets.
- Vous utilisez quelle produit ?
- Les plus naturels qui soient.
- Yves Rocher ?
- Non. Plus naturels encore et tellement moins chers.
- Ah oui ? Pouvez vous m’indiquer un nom ?
- Oui, ça se nomme Jeunesse Humaine.
- C’est quelle marque ? Je ne connais pas ?
- Vous voulez l’essayer ?
- J’en serais charmée.
- Alors montez. »
La Petite Boule suit la délicieuse femme en rouge à l’étage au-dessus. Jonathan, par la force de son esprit diabolique, nous fait voler pour que nous puissions voir.
En haut, la ténébreuse beauté montre la baignoire à la Petite Boule qui se baisse pour approcher un liquide rougeâtre. C’est alors que brutalement et d’un seul coup de hache, la femme en rouge tranche la tête de la Petite Boule. Son sang s’éjecte alors dans la baignoire. Jonathan nous repose au sol tandis qu’il reste en haut.
«T’avais raison Arthur, je lui dis.
- Je suis bien content de m’être débarrassé de la Petite Boule, s’exclame Christoph.
- Oh non, c’est dégoûtant ! Regardez ce que fait Jonathan, il me donne envie de gerber, s’écrie Marshall ».
Nous levons la tête et nous voyons à notre grand désespoir, Jonathan en train de se branler.

Jeudi 27 janvier.
Maman me réveille pour aller en cour. Elle m’avoue qu’elle veut que nous ayons une discussion très importante. Je faisais un rêve très étrange où une bande d’homosexuels italiens se déshabillait sensuellement devant Nicolas Cage et Laura Dern. Hier soir, je me suis enfilé la vidéo Sailor et Lula de Lynch. Je ne vois pas ce que venaient faire les Italiens dans mon rêve.
Je me lève avec Boom Boom de John Lee Hooker dans la tête.
Maman se trouve assise dans la cuisine. Elle m’a préparé un bol de céréales.
« Erman, est-ce que tu vas bien ?
- Oui manman, pourquoi ?
- Erman, tes absences se font de plus en plus présentes.
- Mes absences en cour ?
- Non.
- De quoi tu causes alors ?
- Je parle… Tu fumes du shit ?
- Non. Pourquoi ?
- Je sais que tu fumes. Je suis une mauvaise mère ? C’est ça ? C’est ta manière d’exprimer ton mal être ? Erman, tu me déçois.
- Manman, le gouvernement te manipule. Il secrète de l’ADN d’insecte dans tes embryons pour fabriquer des mutants, et toi tu me parles de shit ?
- Quoi ?
- Rien. »
Mon petit frère arrive dans la cuisine, il porte une veste en tweed couleur indigo, une chemise orange, un jean noir et une grosse boucle d’oreille dorée représentant un caducée à l’oreille gauche. Maman le dévisage avec des yeux ahuris. Elle a encore du mal à comprendre le besoin de métamorphose des adolescents débiles des pays occidentaux.
Plus tard.
Je suis dans l’un des couloirs du lycée avec mon ami Marshall. Nous nous réchauffons le ventre contre un radiateur. Nous sommes calmes, imperturbables. Cela fait longtemps que nous n’avons rien fumé. Parfois, ça me manque. Je rêve que je fume, que la fumée me rentre dans les poumons et la sensation de plaisir… Pensons aux avantages : nous possédons une ouverture plus importante au niveau de la gente féminine, nous nous fatiguons moins vite, nous possédons plus de frics pour les CDs, nous avons moins de contacts avec les bourgeois de Cylenne. C’est parfait finalement.
Nous nous reposons tranquillement, le ventre au chaud. Nous ne disons rien, comme c’est souvent le cas. J’apprécie ce silence. Pas besoin d’une longue conversation futile pour l’existence. Le silence. Juste ce silence. Ce somptueux silence qui en dit long sur notre amitié. Je profite avec plénitude de ce calme tant désiré que seuls les gens de notre espèce maîtrisent le goût.
Soudain, l’ex de Christoph, Embeth Kroon, véritable bombe de chair, alléchante et bandante, vient perturber notre méditation.
« Il s’est passé quelque chose d’horrible ! s’écrit-elle.»
Marshall n’écoute pas, il est plongé dans son atmosphère flegmatique.
« Erman, je viens d’apercevoir un monstre affreux avec une cape rouge et noire, sortir de l’administration ! Et l’administration est devenue vide ! »
Rien de bien grave si c’est l’administration. Mais cela me rend curieux tout de même. Marshall ne me suivra pas. Il s’en moque éperdument. La curiosité n’est pas un de ses traits de caractère. De plus, il a un problème de bienveillance avec tout ce qui concerne le monde scolaire. Il faudrait certainement le payer pour qu’il consente à faire quelque chose pour l’administration. Je laisse Marshall lécher le clitoris d’Embeth et je pars voir ce qu’il se passe.
A l’administration : personne, le désert. Rien, nothing, nada, et en allemand. Je cours jusque chez la Conseillère Principale d’éducation. Un monstre hideux avec une cape jaune et bleue en sort. Je crie. Pure réaction normale. Je crie tellement fort que toutes les vitres se brisent et forment des éclats tranchants dans les airs. Le monstre sanguinaire s’échappe par la sortie de secours. J’ai peur de lui courir après. D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi ce serait moi qui ferais le sale boulot. Je ne suis pas fort, ni courageux. Je suis tout maigre et vu l’hypertrophie du monstre, il me découperait d’un coup de griffes en trente secondes. Je vais donc en cours.
Plus tard.
Mon professeur n’est toujours pas arrivé. Nous attendons devant la salle.
Au bout d’un long moment, nous constatons qu’aucun professeur n’est présent. Tous les lycéens attendent devant leur salle. Que se passe-t-il de si mystérieux ? C’est un mystère. Manger de l’ail, c’est bon pour les artères.
Un quart d’heure passe.
Personne. Inutile de demander quoi que ce soit à la CPE, elle semble presque morte. Alors, tous les élèves du lycée cherchent leurs professeurs avec amour. Une masse entière assoiffée d’éducation, longent les couloirs pour retrouver leurs professeurs disparus. Cette harmonie est si incroyable, qu’évidemment, elle est fausse. Non, certains élèves sont partis en colère, d’autres en ont profité pour s’allumer des clopes.
Seuls, Arnold, Christoph, Arthur, Benjamin, quelques suce-bites intellectuelles et moi s’inquiétons. Moi, parce que j’écris cette histoire et que si je ne m’inquiète pas, je n’ai plus rien à raconter. Arthur, Arnold et Benjamin parce que je l’ai décidé. Christoph, parce qu’il adore une de ses profs.
Plus tard.
Nous sommes dans les rues de Cylenne. Nous suivons les traces de sang sur le sol et arrivons devant un aéroport invisible où nous voyons le monstre à la cape grise et verte monter dans un avion invisible. Arnold se jette sur lui, le plaque au sol et le mobilise en s’asseyant dessus. Christoph se catapulte sur ses doigts et réclame sa prof canon. Le monstre se met à pleurer. Il dit qu’il est désolé et qu’il va nous rendre tous nos professeurs. Le monstre crache alors une drosophile géante invisible qui vomit nos profs invisibles en faisant un bruit invisible profondément répugnant. Elle nous rend même mon professeur de biologie invisible, mais j’insiste pour qu’elle garde celui-là. Elle accepte avec joie et retourne dans la gorge invisible du monstre. Nous partons et retournons en cour.

Vendredi 11 février.
Nous nous ennuyons depuis le début des vacances.
A Cylenne, aucune manifestation nous pousse à une activité captivante. Alors nous glandons, glandons, glandons… Nous avons beau nous remémorer les concerts de Nine Inch Nails, des Crushed Cucumbers, nos visages lassés restent quand même appuyés contre le carrelage, lui aussi ennuyeux. Nous avons joué au frisbee au Parc de Livoyler et nous avons accidenté une pauvre grand-mère qui passait par-là. Résultat : élimination frisbee. Nous avons fait du skate dans la rue en face du gymnase, et nous avons percuté malencontreusement la même grand-mère. Résultat : élimination skate. Tout le reste du temps, nous nous sommes regardés dans le blanc des yeux à espérer une activité.
Seigneur ! Aidez-nous ! Comprenez les raisons de notre goût pour les substances illicites !
Aujourd’hui, je me lève vers onze heures.
Je me demande ce que nous allons bien pouvoir effectuer comme ânerie. Arthur s’est fabriqué un petit compagnon bien repoussant. Jonathan est parti à la montagne comme tous les bourgeois de Cylenne. Kévin est de très mauvaise humeur. Donc, il reste moi et mes phobies, Marshall et sa misanthropie, Christoph et sa philanthropie, Benjamin et sa tendresse, Patrick et son agressivité et Arnold et sa stupidité. Une journée qui sera ordinaire. Insupportablement monotone. Exécrablement perpétuelle.
13h01
Nous sommes tous les six chez Christoph et nous le regardons finir son petit-déjeuner composé de céréales croustillantes et de brioches à la confiture d’abricot. Il s’est levé tard.
Les Rottens Sisters sont parties faire une exposition d’œuvres ocellées à Oaxaca De Juàrez, une ville au Sud du Mexique. Elles ont de la chance d’avoir une machine de téléportation.
Christoph veut rester en pyjama. Nous nous en moquons, il est chez lui. Pierrot de la Lune arrive, sa tenue vestimentaire est égale à celle de Christoph. Il nous apprend qu’il s’est envoyé en l’air avec Ariane, mais qu’il est revenu car il a perdu sa plume en écrivant à Henri Michaux. Nous lui conseillons le Bic. Arthur arrive. Il nous montre le string léopard qu’il va offrir à son petit-ami pour la Saint Valentin. Il voudrait que je le maquille pour l’occasion. Seulement je ne sais maquiller qu’à la manière de Dick Smith. Je refuse. Il pleure. J’accepte. Maintenant, il ressemble à Linda Blair dans l’Exorciste. Il n’est pas vexé. Mais il sort pour se démaquiller. Pierrot s’en va aussi, il cherche Bic.
Donc, nous sommes tous les six, affalés sur le canapé de Christoph. Patrick déblatère un laïus médisant sur les séquelles psychologiques que peuvent engendrer l’écoute d’une musique du groupe The Residents. Question de point de vue, que pouvons-nous dire sur Kraftwerk ?
Christoph finit par se lever et se dirige vers sa chambre. Je sais ce qu’il va faire. Il va se préparer un joint. Patrick et Arnold le suivent excités. Nous sommes tentés à cause de l’ennui irascible qui nous bouffe le temps précieux de nos vacances. Mais, nous cherchons une éventuelle échappatoire, histoire de dire que nous ne sommes pas soumis à la tentation. Benjamin nous invite chez lui.
Dehors, en allant chez Benjamin, nous croisons Joe Denouca, un type très populaire et très comique. Nous ne comprenons jamais rien à ce qu’il dit, mais il possède un rire extra. Il s’appelle en réalité Joseph mais il a américanisé son prénom pour frimer. Il croit que la sublime Gloria de Van Morrison est une marque de sous-vêtements japonais, que Nelson Mandela est un basketteur New Yorkais et que Moussorgsky est un dictateur Tchèque. Joe accepte de nous suivre chez Benjamin lorsque soudainement, un méchant gremelin en chemise de nuit bleue, apparaît depuis une bouche d’égout et déshabille sauvagement Joe. Nous les laissons se pétrir.
Plus tard.
Nous sommes tous les trois chez les frangins Lerows. La chambre de Benjamin est une véritable jungle de peluches où nous pouvons à peine percevoir un lit et une armoire. J’ai envie de plonger dans les peluches.
Soudain, nous découvrons que le méchant gremelin nous a suivi. Il essaye de tout détruire dans la chambre mais nous parvenons à le mobiliser en lui tenant ses quatre membres. En fait, il possède très peu de force et sa médiocrité physionomique rend la situation profondément ridicule. Marshall finit par le soulever par l’encolure de sa chemise de nuit et le hoche frugalement comme le hochet du chérubin chu. Le gremelin essaye de lui arracher les yeux. Marshall le secoue alors énergiquement comme si c’était un vieux torchon plein de miettes.
« Ca va ! Doucement ! se met à hurler le gremelin de sa voix stridente. »
Marshall cesse de le secouer mais garde le poing ferme sur son col de chemise.
« Où est mon ami Joe ? demande tristement Benjamin.
- Il n’a rien, je cherche mes vêtements, quelqu’un m’a volé mes vêtements !
- T’es qu’un vulgaire rat. T’as pas besoin de vêtements, dit sèchement Marshall.
- Et puis tu dois mesurer à peine cinquante centimètres, tu crois vraiment que Joe te les aurait volé ?
- Je veux mes vêtements ! Je veux mes vêtements ! hurle-t-il de sa voix horriblement perçante. »
Marshall l’ébranle vigoureusement en l’air, avant que le méchant gremelin nous fasse comprendre que ce violent choc physique lui donne des nausées. Marshall le laisse tomber sur le sol. Il s’aplatit comme une crêpe, la langue pendante.
« Il est mort ? Questionne Benjamin.
- Il joue la comédie.
- Il est mignon quand il bouge pas, on dirait une peluche.
- Oh non Ben, tu vas pas le garder comme jouet ! Je m’écrie avant de dire à Marshall : Tu as été particulièrement violent. C’est mal.
- C’est un méchant gremelin. On peut relativiser longtemps sur ce qui a été bien ou mal dans cet acte mon cher !
- - Tu ne maîtrises pas ta force.
- Pourquoi je peux pas le garder comme peluche ?
- Parce que c’est un être de chair qui va t’amener des asticots et une certaine puanteur !
- Quel genre de puanteur ?
- La puanteur des animaux en décomposition. »
Tout à coup, le méchant gremelin redresse doucement la tête. Il semble étourdi, ses yeux n’allant strictement pas dans la même direction. Nous nous baissons tous les trois et le fixons. Au bout de quelques secondes, ses yeux commencent à prendre un sens similaire, stabilisés sur nos visages méfiants. Le méchant gremelin finit lui aussi, par montrer un air suspicieux. Nous nous dévisageons ainsi pendant plusieurs minutes.
…
Instant de suspense.
Que va-t-il se passer ? C’est un mystère. Manger de l’ail c’est bon pour les artères.
« Vous allez me laisser partir ?
- Non ! émettent Marshall et Benjamin.
- Oui ! Je contredis.
- Je veux te garder pour savoir quel goût t’as.
- Je veux te garder comme jouet.
- Arrêtez cette comédie, laissons le partir. »
Marshall se lève, nous suivons son mouvement. Il m’annonce alors qu’il serait bien aimable si nous l’aidions au moins à retrouver ses vêtements. Etrange que cette suggestion vienne de sa part ! Nous acceptons.
Le méchant gremelin nous entraîne dans un château où vit un pauvre prince célibataire passionné de mouches et sa mère sénile qui tricote des écharpes de quinze kilomètres. Le Prince célibataire cherche désespérément une princesse à épouser car il en a ras le cou des écharpes de sa mère, et il aimerait bien se casser en province pour fuir sa génitrice névrosée. Parfois, des femmes jeunes et bandantes viennent chez lui et se prennent pour des princesses. Mais, il est persuadé du coup fatal que le seigneur des seigneurs pourraient lui attribuer s’il épousait une fausse princesse. C’est un catholique le pauvre. Benjamin a une idée. Il faut mettre un petit pois sous cinq matelas. Un truc avec sa sensibilité princière mais nous nous en rappelons plus. Finalement, nous déguisons le méchant gremelin en princesse. Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants très laids.

Lundi 21 février.
Ce n’est plus les vacances. Dommage, on s’amusait bien finalement.
Je suis en train de manger des chips goût paprika. La nourriture à la cantine est profondément effrayante, il faut compenser avec la bouffe non-nutritive. Pour monter à la cantine, c’est pire qu’un concert de Métal. Les gens ne sont pas pressés de déguster de la nourriture, ils sont pressés d’aller en salle de désintoxication alimentaire pour manquer les cours. Alors, nous sommes tous comme un troupeau de bovins dans les escaliers, encaissés pour mieux s’étouffer, nous nous trompons de mains pour gratter un nez qui n’est même pas à nous. Et Patrick a la sale manie de s’accrocher à mon bras pour mieux dormir, alors il se penche en arrière, j’use de toutes mes forces pour ne pas être entraîné dans cette chute mortelle, alors je fini par m’accrocher à Marshall, qui s’accroche à la personne devant, qui s’accroche à la personne devant, qui s’accroche à la personne devant, qui s’accroche à la personne devant… Bref, un vrai bordel. Et lorsqu’on est enfin arrivé à destination, après ce combat pitoyable égale à n’importe quelle guerre, on se retrouve dans un face-à-face effroyable : vous devant des haricots disgracieux plongés dans une substance glauque et visqueuse, et vous finissez avec un gâteau d’une difformité déplaisante et dont le goût vous laisse perplexe sur le contenu des ingrédients.
Tout le lycée repose sur la cantine. Car toute la matinée, tout le monde demande à tout le monde qui veut manger avec tout le monde. Incroyable, on a peur de bouffer de la merde tout seul. Ce qui est particulièrement intéressant à Cylenne, c’est de savoir qu’une charmante boulangerie jouxte le lycée. Quand on a un peu d’argent, on n’a pas besoin de ramener des sacs pour vomir la pâtée de la cantine. Ou alors, si on a un peu de temps, on court vers Tranprix au El Bair et on s’achète des chips.
Donc, là je me nourris de chips goût paprika en compagnie de mon ami Marshall qui n’aime toujours personne à part moi et Hazel. Kévin arrive. Tout le monde croit que Kévin est satanique parce qu’il porte une étoile autour du cou. Il se fait piétiner tous les quatre matins par d’hypocrites imbéciles lycéens qui ne croient même pas en Dieu et qui pour le faire chier deviennent soudainement des bigots convaincus.
Kévin n’est pas satanique. Il aurait pu faire parti de la famille Addams s’il n’était pas aussi coincé du fion. Il est gothique parce qu’il aime le noir et les bijoux argentés trop lourds. Sa particularité est son amour pour la Renaissance. C’est un adepte de l’Humanisme au plus haut point. Il connaît les vies de Rabelais, Du Bellay, Ronsard par cœur et se masturbe en regardant les œuvres de Botticelli. Kévin place l’être humain au centre de tout… Pourtant, il n’y a pas de quoi le foutre au centre de tout. L’être humain, je le vois tous les jours, dans tout son arrogance, son mépris, son intolérance, sa perfidie. Il est au centre de tout, c’est malheureusement vrai, à mon avis il a pris la grosse tête. Faudrait bien que la nature, de temps en temps, le remette à sa place.
« Salut les mecs, nous dit Kévin avec tristesse.
- Salut Kévin, je réponds.
- C’est tragique.»
Tout est tragique avec Kévin, c’est d’ailleurs pour cette raison que nous nous moquons souvent de lui. Je lui demande ce qui ne va pas. Il pleurniche : « Le monde fait de moi une compote de fruits faisandés.
- Même les petites indiennes vendues dans des réseaux de prostitution ?
- D’accord, j’admets qu’il existe pire que ma vie.
- Heureux de t’entendre le dire.»
Les désespoirs de Kévin sont pour ma part superficiels, égoïstes et insignifiants. La majeure partie de l’Afrique crève la dalle, le Kosovo est pratiquement exterminé, la radioactivité broute le physique des habitants de Tchernobyl, mais plus dramatique encore : le monde fait de l’existence de Kévin une compote de fruits faisandés. Ah ce Kévin ! Il est fataliste ! Bien mieux que Jacques. Cela donne à réfléchir sur le comportement actuel de l’adolescent matérialiste et égoïste des pays occidentaux.
«Bon, qu’est-ce qui ne va pas cette fois ?
- Arlette est morte.»
Atroce nouvelle. Arlette, c’est la fourmi acrobate de Kévin, sa meilleure amie, conseillère fidèle… Perdre une amie, c’est comme perdre une de ses boules. J’ai une peine liquide qui noie mon estomac dans de l’acide. Pauvre Arlette. Kévin nous raconte alors l’horrible accident. C’est Pei Poopó Tee Cee, le frère jumeau de l’oncle invincible des rimes du rap, qui l’a écrasé avec sa mobylette en or massif, sans le faire exprès. Tout le monde est resté sous le choc dans la famille de Kévin. J’avoue que c’est une information tragique pour moi également. J’adorais Arlette, elle était très gentille. Elle savait faire des sauts incroyables… Elle était épatante et nous sommes tous en deuil aujourd’hui. Kévin n’a plus de meilleure amie, et nous ne savons pas quoi faire pour lui remonter le moral.
Plus tard.
Je suis au Parc de Livoyler à la recherche d’une nouvelle amie pour Kévin. Je sais que jamais aucune fourmi sur cette planète ne pourra remplacer Arlette, mais il faut quand même trouver quelqu’un pour lui remonter le moral.
Je rencontre des fourmis hippies sous un banc où s’est écrit : il faut libérer Marie-Jeanne ! Elles écoutent Live/Dead des Grateful Dead.
Je me baisse et leur demande : « Auriez-vous vu s’il vous plait, une fourmi acrobate ?
- Peace my brother, ici, nous sommes tous acrobates, nous sommes tout ce que tu veux mon frère. Tu veux de l’Acid Queen ?
- Non merci
- De rien mon frère, si tu as besoin de nous, nous serons tous là pour toi, dans ta quête spirituelle. »
Plus tard.
Je découvre une autre assemblée de fourmis au pied d’un arbre bien sympathique. Je me baisse et demande : « Auriez-vous vu s’il vous plait, une fourmi acrobate ?
C’est alors qu’une charmante fourmi accompagnée d’un sombrero, d’un poncho et d’une guitare me fait : « Porqué? »
- Et bien, mon ami Kévin a perdu la sienne dans un tragique accident et j’aimerais lui en trouver une autre pour lui remonter le moral.
- No es una buena idea.
- Pourquoi ?
- Porqué podria recuerda su antigua.
- Ouais, ce n’est pas idiot, mais il faut que je lui trouve une nouvelle amie quand même. »
La fourmi se met à jouer un petit air mexicain avec sa guitare tout en prononçant des paroles espagnoles trop rapides à comprendre. Elle semble tellement gentille que j’ai envie de l’offrir à Kévin.
Après qu’elle ait chanté sa chanson de merde, je lui avoue mon désir. Elle est entièrement d’accord. Elle s’appelle Mario Hormiga et elle est mexicaine. Je la prends sur mon épaule et l’emmène chez Kévin.
Plus tard.
Je frappe à la porte de Kévin. Il ouvre. Je lui tends ma main où la fourmi se met à jouer un petit air mexicain vraiment naze. Le visage de Kévin s’illumine de joie. Il nous étouffe dans ses bras. Et heureux, il prend la fourmi chez lui. Tout est bien qui finit bien. Maintenant je vais bouffer du rôti de porc car j’ai la dalle.

STRUCTURE D’UN METABOLISME OISEUX.
Mardi 22 février.
Nous sommes tous chez Arnold et Benjamin. Nous ne faisons rien. Nous avons tenté de mettre les Pixies à fond, mais leur mère est entrée trente secondes plus tard pour balancer le poste par la fenêtre en nous traitant de malades, puis elle a hurlé un truc incompréhensible. Alors, on essaye de s’enfoncer dans les peluches de Benjamin en chantant de nos voix altérées With A Little Help From My Friends de Joe Cocker.
Soudain, alors que nous nous y attendons le moins, Christoph nous annonce qu’il connaît une maison, que tout le monde surnomme « la maison des morts ». Nous y allons.
Nous marchons, marchons, découvrons des cités de fleurs qui ne pleurent pas, mais qui toussent parfois. Nous marchons. Nous essayons de trouver des sujets de conversation pour ne pas entendre les questions crispantes et irritantes d’Arnold. Benjamin a emmené trois peluches pour ne pas avoir peur lorsque nous visiterons la maison des morts. Benjamin a donné un nom à toutes ses peluches. Il a de la mémoire, sachant qu’il possède six milles sept cent quatre-vingt-huit peluches dans sa chambre. Là, il a ramené Germaine, Jocelyne et Fernandez.
Soudain, la voilà ! Devant nous ! Grise et sordide !
Plus un mot !
Le vent glacé nous refroidit les testicules. Nous entrons.
A l’intérieur, il ne fait pas sombre à cause des nombreuses ouvertures. Nous tremblons quand même de frayeur parce que c’est plus marrant. Enfin, surtout moi je tremble de frayeur.
Christoph crie : « Ooh ! Y’a quelqu’un ?
- T’es fou ! s’exclame Arnold, tu vas réveiller les fantômes !
- C’est mon intention !
- Y’a pas de fantômes ici bordel, ce qui fait flipper c’est la moisissure et les toiles d’araignées ! prononce Patrick avec dégoût. »
Plus tard.
Nous n’avons rien vu d’intéressant pour l’instant. Le plancher craque, les meubles sont recouverts de draps vraiment laids, la poussière s’est infiltrée dans les moindres recoins, les toiles d’araignées ne bougent même pas. Jonathan et Patrick n’arrêtent pas de se disputer et Arnold n’arrête pas de poser des questions stupides et crispantes. Nous avons même monté les escaliers et nous n’avons rien vu d’exceptionnel. Je comprends pourquoi on l’appelle « la maison des morts », tout est mort là-dedans, même les araignées apparemment. On n’a même pas vu de rats. Arnold me gonfle avec ses questions, il faut absolument trouver un sujet de conversation pour le faire taire.
Soudain, au troisième étage, nous entendons des bruits bizarres. Nous tendons l’oreille. « C’est mon ventre », nous dit Arnold. Mais il semble, que ce ne soit pas le ventre d’Arnold. Nous entendons des cris de jouissances et des grognements. Cool. Pris d’une curiosité excitante, nous montons les marches quatre à quatre. Nous arrivons devant une porte où les gémissements se font plus intenses. Que se passe-t-il derrière cette porte ? Christoph l’ouvre. Que voyons-nous ? Des crimes et des châtiments ! Mais aussi des démons et des pauvres gens ! Par peur, nous redescendons les marches quatre à quatre. Du moins c’est ce que je crois, car arrivé en bas, je me rends compte que je suis tout seul avec Arnold. L’Horreur ! Les questions d’Arnold commencent alors : « Erman, qu’est-ce que c’était ? Où sont les autres ? Pourquoi ils nous ont pas suivi ? Tu crois qu’ils sont encore en haut ou ils ont disparu ? Tu crois pas qu’ils ont disparu ? Et tu crois qu’ils sont allés dans une autre dimension ? Tu crois qu’on peut les rejoindre ?…»
Pendant qu’Arnold déverse ses questions, un homme assis sur une chaise en face de moi me regarde. Il ne me dit rien.
« Bonjour, dit l’homme.»
Arnold se met à hurler comme une gamine coquette devant un ver de terre et tombe dans les pommes.
« Qui êtes-vous ? Je demande.
- Je suis fait d’or, répond-il.
- Dostoïevski ? »
Il disparaît. Les potes arrivent. Marshall, Kévin et Patrick veulent partir parce qu’ils s’ennuient. Nous partons en traînant Arnold par les pieds.

Vendredi 3 mars.
Il est 10h 35, je suis devant ma salle d’espagnol et j’attends mon professeur femelle.
Tout à coup, Sébastien Chevreuille, le meilleur ami de Benjamin, arrive en hurlant : « Y’a le feu ! Y’a le feu ! ». Madame la Conseillère Principale d’Education, femme très conne, qui passait par-là, demande niaisement et lentement : « Où? ». Et comme elle est vraiment très très conne, Sébastien panique et hurle de toutes ses forces : « C’EST SUR MAINTENANT, ON VA TOUS CREVER A CAUSE DE CETTE GROSSE NAZE !».
La CPE finit quand même par déclencher l’alarme incendie. Toutes les portes des couloirs se referment comme si on prenait une raclée dans la gueule. Tout le monde hurle. Nous sortons dans la cour par les issues de secours. Nous sommes tous dehors. On aperçoit Joe Dénouca qui danse à poil au-dessus du préau en criant au feu les fesses. Quelle mentalité désastreuse !
C’est l’une des salles de physique qui crame. Tout le monde applaudit. Personne n’aime la physique. Joe Dénouca se met à pisser sur les flammes. Wladimir, un autre type populaire, grimpe vers la salle. Nous ignorons la raison de cet acte singulier.
Plus tard.
Les pompiers sont parvenus à mettre un terme à l’incendie. Le lycée n’a malheureusement pas explosé en contact avec des produits chimiques de la salle de physique. La police a arrêté Christoph et Arnold qui faisait cuire un jambonneau. Des gens pensent que c’est eux qui ont provoqué l’incendie. J’en doute, ils ne seraient pas restés, du moins Christoph. De plus, Arnold ne sait pas faire du feu, il a séché la période Homo Erectus en Histoire.
Sébastien connaît les coupables. Ce sont Walter Sands et Gabriel Minds. Les gendarmes les arrêtent.
Plus tard.
La cantine.
Là, j’essaye de manger des nouilles étranges saupoudrées de farine de vomissure extraterrestre, en compagnie de Christoph et Patrick. Nous discutons de la différence entre le Alabama Song des Doors et celui de David Bowie, par rapport à la version originale de Kurt Weill. Benjamin se joint à nous. Il tient son phoque en peluche sous le bras. La semaine dernière, c’était sa semaine lapin, cette semaine, c’est la semaine des phoques. Benjamin ne peut se passer de ses peluches. C’est une drogue. Lorsque nous étions au collège, tout le monde se moquait de lui. Il a même fait face à des horreurs inimaginables. Les collégiens lui ont massacré ses nounours de toutes les manières les plus atroces : déchiquetage aux cutters, incendie volontaire au briquet, écrasement aux scooters, démembrement par arrachage, énucléation à la cuillère, vol, dépouillement de coton… Mais Benjamin n’a jamais baissé les bras et est toujours revenu avec une peluche. Aujourd’hui, Benjamin mesure un mètre quatre-vingt-seize et pèse cent vingt-cinq kilos. Plus personne ne lui fait du mal. Certains anciens ennemis viennent même lui offrir des teddy-bears. Cependant, Benjamin est resté l’enfant craintif et timoré que j’ai connu. Son cœur est aussi puissant que son hypertrophie mais ses frayeurs aussi. Bref, Benjamin nous annonce que Walter Sands et Gabriel Minds n’étaient pas seuls. Ils avaient un complice. C’est un méchant également. Il mérite pénitence.
C’est Pubère Rubanier le troisième coupable. Le troisième coupable, cela ressemble à un titre de film industriel pour attardés mentaux.
Donc, il y a un troisième coupable et c’est Pubère Rubanier. En théorie, nous ne sommes pas des mouchards. Mais Pubère Rubanier, nous ne pouvons vraiment pas l’encadrer. L’encastrer violemment dans un mur peut-être, mais surtout pas l’encadrer. Pubère et son ami Nubile Renoncule ont massacré la face déjà moche de Patrick l’année dernière, et la vengeance n’avait jamais eu lieu. Il est temps, ô mes frères, de faire pommer à ces grassou merdzkoï1 que la vengeance va tintinnabuler. Aussitôt après avoir vomi la nourriture de la cantine, nous courrons à l’administration comme des gazelles sauvages fortes alléchantes. Les deux Martines sont présentes, toujours prêtes pour affronter la débilité profonde des jouvenceaux de ce lycée.
Nous annonçons alors comme des gros lèches-culs : « Mesdames, nous avons une question. Doit-on mettre un S partout à lèche-cul ? Comme nous sommes plusieurs, nous supposerons que le S à lèche est évident ou alors à la fin du mot entier. Mais le fait de mettre un S à cul, supposerait que nous léchions plusieurs culs ? Sauf, si c’est un S pour parler de la quantité de lécheurs ? N’est-ce pas une question qui demande réflexion ? »
Les deux Martines nous fixent avec de grands yeux, ou deux grands yeux si elles étaient cyclopes. Donc, elles nous fixent avec quatre grands yeux.
Nous annonçons comme des lécheurs : « Gabriel et Walter ne sont pas les seuls coupables !
Il en existe un troisième, un méchant, ajoute Benjamin en faisant trembler les murs, Pubère Rubanier est également dans le coup ! Je le sais, je l’ai vu lorsque j’étais caché dans le placard avec Sébastien. »
Arrêt sur image : qu’est-ce que Sébastien et Benjamin effectuaient dans le placard ?
Cela ne me regarde pas.
Ils jouaient à cache-cache comme d’innocents adolescents de dix-huit ans.
Ils planquaient des trucs de chimie pour faire n’importe quoi.
Benjamin s’explique : « On s’était caché. Au début, je donnais des morceaux de glucose à Ploupoune ( il faut savoir que Ploupoune est son phoque en peluche) et Sébastien nettoyait les tubes à essai, lorsque Walter, Pubère et Gabriel sont arrivés. Nous nous sommes instinctivement précipités dans le placard car ils nous font peur. Nous regardions à travers la porte entrouverte, et c’est là que nous les avons vu jouer avec le feu ! Puis nous sommes partis en hurlant de peur.
- Pourquoi n’avez-vous pas dénoncé Pubère tout de suite ? demande l’une des deux Martines.
- Parce que j’avais peur que si je dénonce Pubère, j’aurais Nubile sur le dos.»
Pure réaction normale. Benjamin ne sait pas encore qu’à lui tout seul, il peut écraser tous les nubiles du monde. Il faut se rendre à une évidence également : Nubile Renoncule et Pubère Rubanier sont profondément effrayants. Premièrement, Pubère et Nubile prennent des stéroïdes anabolisants et des hormones d’extraterrestres. Deuxièmement, ils possèdent une armée de moutons extrêmement violents et agressifs à leur charge.
Et nous, qu’avons-nous ? Premièrement, Benjamin et moi sommes peureux, de vraies lopettes. Marshall n’aime personne, il s’en moque éperdument. Deuxièmement, Arnold pose trop de questions, l’action est une chose sans valeur pour lui. Kévin est plus peureux que Benjamin. Christoph est pacifique, il déteste la violence, il préfèrera s’allonger tout seul devant eux comme une vieille merde. Jonathan est égoïste, et son père ne veut plus qu’il se serve de ses pouvoirs. Arthur est homosexuel. Enfin, il reste Patrick, mais Patrick tout seul, il n’y a donc personne. Et les Rottens Sisters sont en vacances dans le Dakota du sud pour photographier les présidents.
J’ai peur maintenant… Si Pubère est viré… Mon Dieu, j’ai vraiment envie de pisser dans mon froc.
Quatre jours plus tard.
J’ai entendu hier la rumeur. Pubère et sa bande de dégénérés mentaux veulent nous expatrier vers les sous-sols de leurs jardins pour que nous puissions servir d’engrais. Je vais mourir, c’est sûr. Je ne me battrai pas. J’ai peur. Je vais rester dans mon lit aujourd’hui, et demain aussi. Je vais rester dans mon lit jusqu’à ce qu’une barbe m’arrive aux chevilles. Je serais ainsi méconnaissable. J’aurais probablement moins de succès avec les filles, mais au moins, je n’aurais plus peur. Je n’ai pas dormi de la nuit, la rumeur m’infecte le cerveau. Je vais rester dans mon lit !
Maman gueule qu’il faut que j’aille en cours. Non, je n’irai pas. Je ne suis pas de l’engrais, je ne veux pas devenir de l’engrais.
« Erman ! Bouge ton cul, il est 7h 30 ! On part dans un quart d’heure !
- Non ! Je crie. »
Je l’entends monter les marches nerveusement. Il me semble qu’un croquemitaine avec des seins va me trancher la gorge. Elle ouvre la porte violemment. Les murs tremblent, de l’air glacé vient de s’infiltrer dans ma chambre. Dans cette obscurité, je vois un crapaud géant avec des yeux de psychopathes et du rouge à lèvres.
« Comment ça non ?!
- Pubère et Nubile vont me casser la figure et j’ai pas envie !
- Pourquoi ils veulent te frapper ces deux crétins ?
- C’est qu’on a rapporté comme des lèches ceux qui ont mis le feu et maintenant, ils veulent notre peau. »
Elle se calme. Elle est très fière de savoir que je suis une grosse lèche. Mais elle insiste pour que j’aille quand même au lycée et que je prévienne le proviseur. Je lui réponds une négation. De la fumée commence à sortir de ses oreilles : « Erman, ne fais pas l’enfant.
- Si !
- Erman debout !
- Non ! »
Je me cache sous les couvertures. Elle ne dit rien. Elle semble redevenir calme. Je lève ma tête de la couverture. Ses yeux, sa bouche et ses oreilles sont calmes, elle est redevenue belle.
« Bon, très bien Erman. Fais comme tu veux. Mais il faudra bien que tu y retournes un jour. Ou alors, trouve-toi du travail. » Elle s’en va.
La phrase fatale pour un adolescent oisif : TROUVE-TOI DU TRAVAIL.
Trouve-toi du travail. C’est une phrase profondément traumatisante. Elle exerce sur moi une sorte de malaise. J’ai des envies de crachats tout d’un coup. J’ai la nourriture d’hier soir qui fait des va-et-vient dans mon œsophage. Trouve-toi du travail…
J’entends la voiture de ma mère qui démarre. Je suis en caleçon. Trouve-toi du travail ? Trouve-toi du travail !
Trouve
Toi
Du
Travail
Aah !
Non ! Je suis trop amoureux de l’oisiveté ! De mon confort enivrant ! Je me lève. Je prends ma douche en quatrième vitesse. Je mange du pain beurré en version « avance rapide ». Je bois un verre de lait froid, me brosse les dents, prends mon sac et cours à la gare pour le prochain train. Trouve-toi du travail ? Et puis quoi encore ? Je préfère mourir entre les pétales de Nubile Renoncule.
Dans le train.
Je suis devant Monsieur Choucroute. Monsieur Choucroute, il a de la choucroute sur le crâne car les moumoutes coûtent trop chères. Monsieur Choucroute est un homme fort sympathique qui tient un restaurant alsacien dans un quartier du monde. Il me demande pourquoi je ne suis pas en voiture avec ma mère comme tous les matins. Je lui raconte toute l’histoire. Il a une idée. Il appelle grand-mère Poulet avec son portable pour m’aider à combattre ces deux pubiens. Il me raconte que grand-mère Poulet est bionique. Elle a eu un accident de mobylette, cela fait huit ans déjà, avec une vieille mobylette aussi, et le professeur Schrödinger l’a bioniqué comme super Jaimie.
Plus tard.
J’attends grand-mère Poulet devant l’église de Cylenne. Je suis en retard en cour. Une grand-mère arrive. Je doute que ce soit grand-mère Poulet, parce qu’elle vient de se faire doubler par la tortue Malfamée qui marche très très lentement. On le sait, on la connaît. La vieille est toute voûtée, toute maigre, toute molle, sa peau traîne sur le sol. Elle met son dentier et me dit d’une lenteur exécrable : « Je suis grand-mère Poulet ».
!!!!
Ah bon ?
Elle ne semble pas du tout en superbe forme notre super Jaimie.
Je lui demande : « Vous êtes sûre que vous êtes bionique ?
- uais. J’ai été bio-niqué. Je n’ai éprouvé aucun plaisir, mais je veux bien le faire avec vous, répond-elle de sa voix toute desséchée.
- Pardon ?! Auriez-vous l’amabilité je vous pris, de bien vouloir me donner votre définition de bioniquer ? »
Plus tard.
Je suis en cour. Je repense à grand-mère Poulet qui a clamecé devant l’église avant de répondre à ma question. Elle semblait vraiment angoissante. Patrick est absent. Il est certainement resté chez lui. C’est ce que j’aurais dû faire. Mais cette phrase: TROUVE-TOI DU TRAVAIL me hante. J’attends l’heure de ma disparition avec beaucoup beaucoup de patience et d’affolement. Mon épiderme est devenu vert comme celle d’un orvet, mon cœur se soulève toutes les trente secondes, ma gorge est sèche, mes aisselles sont trempés, mes fesses se serrent. C’est bon, allez-y, abattez-moi ! Mais faîtes le vite, car je crois que j’ai très envie, finalement, de trouver du travail. Mon Dieu, c’est ce que j’aurais dû accomplir ! Peut-être n’est-ce pas si épouvantable ? Je serais resté sous mes édredons de laines pourpres et puis, je me serais levé pour trouver du travail ! J’en aurais déniché un et tout serait paisible dans mon esprit… Pourquoi ne me suis-je pas éternisé sous mes couvertures ? Ma queue vient de rétrécir de douze centimètres, je suis bon pour terminer mes jours dans un dortoir de lopettes. Adieu adieu ! Je vais mourir. Je partage mes dernières secondes avec vous. La sonnerie du lycée va bientôt retentir et lorsque je vais sortir, Dame Faux apparaîtra pour me trancher la tête comme à une vulgaire dinde la veille de Noël. Adieu adieu ! Ma jugulaire se corne, je ne pourrais bientôt plus vivre. Je vais trépasser aujourd’hui comme cette centenaire hallucinée qui n’a rien d’une femme bionique. Au secours ! La sonnerie retentit. Mon cœur s’arrête, puis reprend mais à vive allure. Ma respiration s’arrête puis reprend avec intensité. Je respire tellement fort que toute ma classe me regarde. Aglaé Duchamp me passe son inhalateur et me frictionne l’épaule avec sa main pleine de crème au jojoba. J’essaye de respirer plus calmement. Je lui rends son inhalateur. Tout le monde est tourné vers moi. Ils se lèvent vers la sortie. Moi je ne peux plus remuer. Aglaé, Françoise Mouchetis et Michelle Chanson n’arrêtent pas de me caresser les épaules et le dos. Elles profitent de la situation ces cochonnes. Je finis par me lever brusquement et je cours vers la sortie du lycée. Mais je me bloque soudainement, car au loin, je vois, le crâne dans le vent, les yeux scintillants, mon fidèle bras droit, Marshall. Il n’aime personne. Mais il aime moi, et il ne laissera jamais personne me faire du mal. Je cours à lui et me jette à ses pieds comme un jeune chiot très stupide content de revoir son maître. « Marshall, je ne veux pas mourir !
- Erman, c’est toi qui écris cette histoire. Arrange les choses comme il se doit. »
Les Rottens Sisters ne sont finalement pas parties en vacances. Elles ont fait croire à leur départ pour que nous les laissions tranquilles. Cependant, ma requête leur a semblé importante parce qu’elles me trouvent fortement mouillant et qu’elles veulent que mon magnifique physique reste justement magnifique. Elles réduisent à l’aide d’une machine qui ressemble à une vieille cafetière, Pubère et Nubile, en minuscules chypriotes. En fait, je voulais mettre « chilopodes » mot scientifique pour désigner une famille de milles-pattes mais mon ordinateur l’a refusé et me l’a remplacé par chypriotes, mot que j’ai trouvé très sympathique. Les chypriotes sont les habitants de Chypre. Quel rapport avec l’histoire ? Aucun. Quoi qu’il en soit, nous allons tout de même garder ce mot parce qu’il possède une tonalité vraiment intéressante ce qui, me semble-t-il, est tout à fait recevable pour mon histoire qui ne possède ni queue ni tête.
Vendredi 17 mars
Ce soir, Embeth Kroon, l’ex bandante petite amie de Christoph fête ses dix-sept ans. Je veux être beau pour faire mouiller quelques délicieuses pucelles. Là, je suis en cour de maths. Patrick dort, comme d’habitude. Il fait des bulles avec son nez. J’essaye de les éclater avec mon Bic. Dans cinq heures, tout le monde sera chez Embeth Kroon pour boire, fumer, se droguer, baiser, sucer, lécher, gerber… Quoi de plus beau qu’une vie de débauche ! J’ai envie d’emmener tous mes disques.
J’ai l’impression que l’on m’observe. Je me tourne légèrement. C’est Michelle Chanson qui me dévore des yeux. Cela fait presque deux semaines qu’elle me regarde avec ces mirettes rutilantes de passion, comme si j’étais devenu en l’espace de quelques temps, l’égérie érotique tant convoitée par ses rêves de pucelles candides. Qu’est-ce qui a changé chez moi depuis deux semaines ? Mes cheveux ont gagné trois millimètres de plus. C’est peut-être cela le secret, Samson se réveille sur ma tête. Je suis flatté de sa sollicitude soudaine, mais je ne suis pas très intéressé. Nous ne nous sommes jamais parlés. Je lui ai demandé sa gomme une fois, c’est tout. Elle adore peut-être ma voix. Pourquoi s’intéresse-t-elle à moi maintenant ? Je la regarde. Elle rougit et fait semblant de ne pas m’avoir contemplé. Putain, je sens que ça va être chiant. Soyons tolérant. C’est une timide… Elle ne risquera pas de me harceler… Si peut-être. Cela se trouve, c’est une veuve noire qui cache ses airs psychotiques à travers le regard timide d’une pauvre adolescente...
Plus tard.
Marshall et moi, sommes à l’agora du lycée en train de manger des beignets de crevettes trouvés dans une poubelle. Les Rottens Sisters sont sur un nouveau projet : construire un mono réacteur chasseur bombardier qui envoie des toasts beurrés. C’est pratique lorsqu’on veut faire des croque-monsieur et qu’on est limité par le temps.
Steve Fisher, rien avoir avec mon Marshall Fisher, le type le plus séduisant du lycée et surtout le plus enfoiré vient nous voir. C’est la première fois qu’il vient à nous. Marshall ferme les yeux, se bouche les oreilles et se met à siffler L’Hymne à la Joie de la Neuvième symphonie de Beethoven.
« Ma copine m’a largué pour un soi-disant mec plus beau que moi. Impossible. Aucun mec n’est plus beau que moi! Peux-tu comprendre cette situation ? Non bien sûr, tu n’es pas moi. Cela doit être horrible de ne pas être moi. Qui es-tu ?
- Erman Karaluch, je réponds froidement.
- Quel nom original. T’arrives à te trouver des nanas avec ce look si bizarre ? Tu as une belle gueule, c’est vrai, mais le style est important. Tu as peu de goûts mon ami, mais si tu me le supplies, j’accepte d’arranger ta garde robe.
- Pourquoi faire ?
- Pour que les filles viennent dans ton lit!
- Je n’ai pas de mal à me trouver des filles. Et moi, on ne m’a jamais largué.
- C’est une blague Woody ? ( Dois-je prendre ce surnom comme une insulte ?) Quand on ressemble à un minable comme toi, c’est important de posséder un surnom, ça te permet de t’individualiser dans la société. »
Je ne dis rien. Ce petit prétentieux commence à me taper sur le système. Même Marshall le fixe avec une haine glaciale. Il s’en va.
« J’imaginais Sid Vicious lui pissant sur la tête, m’avoue Marshall
- C’est pour cette raison que tu sifflais du Ludwing ?
- Arrête de frimer.
- Cela aurait été un spectacle tellement plus réjouissant si Sid Vicious était encore vivant ?
- Pas forcément, disons que je le préfère à Steve. »
Plus tard.
Je viens d’apprendre par Christoph, que Steve Fisher est en train de chercher toutes les filles qui sont sorties avec moi. C’est un jeu profondément nul et passablement immature. Cinq de mes ex-copines sont dans ce lycée pourri. Je ne tiens réellement pas à me souvenir de mes erreurs du passé ! Une petite énumération horripilante : Annabella Lydie, amatrice de Disco Travolta “Nice move. Di you make that up ?” 2, Melinda Tenuto, une férue fêlée de la Techno-Latino, Nathalie Jardin, du Céline Dion à pleins volts, Armelle Roland, passionnée par la musique des Platters, des Shangri Las et de la voix de Brigitte Bardot, et Charlotte Courroux, Dalida et Claude François.
Au loin, je vois justement Melinda Tenuto qui se dirige vers moi avec le sourire. Elle me dit que Steve Fisher lui a demandé si elle était déjà sortie avec moi et elle rajoute qu’elle a très envie de sucer son pénis.
« Putain je m’en fous de tes fantasmes, y’a un type qui se renseigne sur ma vie privée bordel !
- C’est Patrick qui te rend si vulgaire ? Tu fréquentes beaucoup trop d’abrutis.
- Tu es une Sainte !
- Arrête de flipper, quelle importance si Steve a envie de se faire chier à trouver toutes tes ex !
- Ouais exact. Tant que cela ne prend pas des proportions exagérées, ça va. »
Plus tard.
Je sors paisiblement de mon cours de science économique et sociale lorsque je croise Annabella Lydie en pleure : « Erman, j’ai honte d’être sortis avec toi et un mec beau et populaire vient me demander si je suis déjà sortie avec toi, qu’as-tu raconté?
- Rien, personne ne sait que je suis sorti avec une grognasse.
- Je te déteste! »
Elle s’en va. Mais voilà que Nathalie Jardin arrive avec son petit air de snob vertueuse.
« Erman, un très charmant jeune homme est venu me demander si j’étais déjà sortie avec toi. Je ne sais pas ce que tu racontes comme bêtise. Enfin moi j’ai répondu que non, car trois jours dans toute une vie, cela ne compte pas.
- Deux jours Natha, tu crois que j’aurais pu te supporter une troisième journée ?
- Je te déteste !
Elle s’en va. Je me demande qui sera la prochaine. J’espère que ce ne sera pas Armelle.
Non, c’est Charlotte Courroux qui arrive. Charlotte est une ravissante et charitable jeune fille profondément fade et vide… et insignifiante… et soporifique…
…
Elle s’approche de moi, ses cheveux châtains attachés sur le côté : « Bonjour Erman.
- Salut. »
Elle me fixe avec ses grands yeux bleus et délicieux : « Au revoir Erman.
- Salut. »
Elle s’en va. Elle avait certainement envie de me dire quelque chose mais n’a pas osé comme d’habitude. Ou alors, elle a une case en moins.
Bon, il ne manque plus que le débarquement apocalyptique d’Armelle. En fait, j’espère de tout mon cœur que Steve ne l’a ni trouvé ni parlé.
Plus tard.
Je suis devant mon casier en train de changer mes livres. Patrick est parti aux toilettes, information d’une importance capital.
Soudain ! Catastrophe ! La femme démoniaque est là ! Armelle me fait sursauter ! Elle est arrivée par derrière telle une mante religieuse ayant repérée sa future victime. Elle m’observe de ses grands yeux bruns. J’entends la bande originale de L’Exorciste. Elle me sourit de ses lèvres pulpeuses rosées de parfum myrtille. Sa beauté m’énerve. C’est une beauté de vicieuse. Trois filles m’ont épaté dans ma vie : Melinda pour m’avoir fait découvrir les plaisirs célestes, le premier corps dans lequel j’ai éjaculé, on ne peut pas oublier. Olivia Bartas, elle n’est pas dans ce lycée. J’étais complètement amoureux d’elle. Vraiment amoureux.
La troisième fille épatante est bien entendu Armelle. Mais ceci n’a rien d’un compliment en fait. Armelle est une pythie. Une démone irritante qui m’excitait rien qu’en me léchant l’oreille. Elle m’a toujours fait peur. Elle est vicieuse, perverse. Elle a tout le temps envie de faire l’amour. Elle ne correspond que par frottement, la communication verbale n’est pas son domaine. De plus, elle possède un physique très vite bandant. Mais en même temps qu’elle te pompe le sperme, elle te pompe toute ton énergie. Elle m’a explosé les testicules. Elle est insatiable et complètement folle. Elle ne peut être humaine, ses désirs sont trop extrêmes. Son unique motivation pour l’avenir : l’échange de fluides corporelles. Elle ne pense qu’à ça. Cette fille est sans doute une sorte d’hybride diabolique qui ne souhaite que des esclaves sexuels. Elle m’avait tellement vidé que je l’ai dégagé au bout d’une semaine. Elle mouillait avant même que je la touche. Bref, de la voir en face de moi à cet instant même, j’ai envie de courir jusqu’à l’autre bout de la planète.
« Erman, le fait qu’un type se renseigne sur toi, m’excite très profondément. »
OH MY GOD ! ( mettre la musique de Psychose ). Elle me touche le torse, je fais un bond arrière, ma tête percute la porte de mon casier ouvert, je tombe. Elle s’allonge sur moi en disant que je suis mignon. Je hurle. Elle m’embrasse la joue un peu trop près de mon oreille gauche et me caresse les cheveux. Je la pousse et me lève. Ma tête percute une seconde fois la porte de mon casier. Elle rit. Patrick arrive. Il hurle en la voyant : « Arrière Satan ! ». Elle s’approche doucement, langoureusement de Patrick qui se met à crier les doigts en croix : « Elle essaye d’exercer son pouvoir sur moi ! ». Je parviens à me relever complètement, je la bouscule contre les autres casiers, je chope le bras de Patrick et je l’entraîne dans une course traumatisante vers la sortie du lycée. Nous courrons, courrons tout en hurlant. Nous sortons du lycée et boom ! Je fais sans le faire exprès du rentre dedans à Michelle Chanson qui tombe sur les fesses. Patrick continue de courir en hurlant. Je ne le vois plus. Il est certainement parti chez Christoph. J’aide Michelle à se relever. Je trouve la situation plutôt embarrassante. Elle ose à peine lever les yeux pour me regarder. Elle est toute petite et toute mignonne. Elle rougit. Je ne la connais pas. Cela se trouve, c’est une fille géniale. Elle finit par lever timidement les yeux vers moi. Elle est mignonne. Je lui demande : « Tu viens chez Embeth Kroon ce soir ?
- Je ne suis pas le genre de personne qu’Embeth invite, elle ne me connaît même pas au fond.
- Je suis invité.
- C’est cool pour toi.
- Non, ce que j’veux dire, c’est que… Ben tu vois, ça va être une soirée minable, y’aura de la bière, les filles vont se mettre toutes nues.
- Tu veux me faire croire que t’aimes pas ce genre de soirée ?
- Cela dépend avec qui on y va. Je n’aime pas trop les personnes qui y seront.
- Patrick n’est pas invité ?
- Non, plus personne n’invite Patrick depuis qu’il a chié dans la sangria d’Ophélie en juin 1724. Il était trop défoncé. C’était une horreur. Tu veux y aller avec moi ?
- Chez qui ? Chez Embeth ? Disons que c’est un peu prématuré, je n’ai pas prévenu mes parents et c’est ce soir.
- Ouais, c’est délicat.
- Je rentre chez moi vers 18 h, je demande à mes parents et je t’appelle.»
Je lui donne mon numéro et me dirige vers l’arbre de Christoph.
18h 22
Chez moi.
Téléphone.
Michelle. Elle m’annonce que ses parents ont refusé. Je lui dis que ce n’est pas grave. Je n’avais plus envie d’y aller de toute façon car Marshall a loué Bad Taste de Peter Jackson et Do The Right Thing de Spike Lee.

Mardi 28 mars.
Vous savez qu’il existe une organisation de gangsters qui conditionnent les pigeons à la naissance ? La mafia, qu’elle soit russe, japonaise ou italienne, élève des pigeons pour que ces derniers chient sur les berlines, les bancs publics, les capuches, et que nous dépensions l’argent nécessaire, que ce soit en impôt ou volontaire, pour racheter le matériel bousillé par la merde des pigeons ? Tout ceci est vrai. Il paraît même que le gouvernement est au courant, mais que cela leur rapporte financièrement. Car oui, le gouvernement et la mafia se fréquentent. La mafia des pigeons est présente partout. Si vous êtes attaqués, harcelés, agressés par des pigeons, vous ne pouvez faire confiance qu’à vous-même ! Communiqué détecté par un certain Nicolas, 97 après J-C. ( J’entends cinq ans après la mort de John Cage bien entendu !)
Silence.
Je me réveille. J’observe mon plafond. Un plafond c’est stupide. J’ai rêvé cette nuit que je me trouvais dans une chambre jaune citron avec des rideaux céruléens et qu’un monstre putride, qui au départ essayait de me massacrer, avait fini par se défenestrer comme Mike Brant. Maman hurle. Il faut que je me lève. J’allume la radio. Les Rolling Stones me chantent Sympathy for the devil. Maman gueule. Je me lève et m’achemine vers le petit déjeuner.
Mes céréales au miel jouent aux Volleys Ball dans mon bol. Elles m’agacent, je n’arrive pas à les manger. Je leur rouspète qu’elles ont été conçues pour être bouffer. Elles me réclament une dernière partie. Mon stupide bon cœur accepte.
Plus tard.
J’arrive en retard en cours à cause de mes céréales qui ont réalisé un excellent match qui exigeait une attention particulière. Mais le problème à présent, c’est que mes intestins jouent à s’entrelacer comme des amants. Ils se plient, se déplient, se replient, s’étirent, se mêlent, se tordent, se crispent. Ma tête est plongée, dans le sens concret, dans mon livre de géographie. J’ai envie de dégorger. Le professeur m’appelle. Je sursaute et tente de le distinguer avec mes petits yeux souffreteux. Le professeur me rassure : « Vous avez une sale tête monsieur Karaluch.
- Merci pour votre franchise monsieur, ma voix tremble d’affliction.
- Ce que je veux dire, c’est que vous êtes blanc comme un linge.
- C’est un cliché, comme blond comme les blés.
- Vous voulez sortir peut-être ?
- J’en serais particulièrement enchanté.
- Vous voulez un mot pour aller à l’infirmerie ? »
Pas le temps pour l’infirmerie, un volcan de dégueulis veut entrer en éruption. Je dégage du cours le plus vite possible en tenant ma bouche. Je recherche des vespasiennes libres. Mais dans ce couloir sombre et inquiétant, je croise Armelle. « Bonjour Erman. » Me dit-elle en me fixant avec ses yeux de succubes. J’entends la bande originale de Psychose.
Silence. Si j’ouvre la bouche, je lui vomis dessus.
« Ca ne va pas mon chou ? » Ose-t-elle prononcer en me caressant le crâne. Je vais vomir. Je tente alors de m’échapper mais elle me prend le bras et me reproche de sa voix perfide : « Tu pourrais répondre, tu n’es pas très sympa. » Je m’en moque. Je ne veux pas être sympa, je veux vomir. Elle continue de me caresser le crâne. Tout ce qui était dans mon estomac, repasse par mon œsophage. Je ne résisterais pas… Je vais…Voilà qu’une explosion d’aliments broyés jaillie de ma bouche et gicle sur le joli visage maquillé de rose de l’allumeuse perverse. Je vois jaune. Je bascule. Je m’envole. Tout est flou.
Plus tard.
Je suis allongé sur un lit à l’infirmerie. La dernière image que j’ai en tête est le visage pétrifié et souillé de la pauvre Armelle. Au moins maintenant, elle ne m’adressera plus la parole. Pour que les gens vous laissent tranquille, il faut leur vomir dessus.
Marshall entre dans l’infirmerie : « Alors comment ça va ?
- Mal.
- L’infirmière a appelé ta mère ?
- Marshall, on est à Cylenne !
- Ok, je vais appeler ta mère. »
Il sort. Arnold et Patrick entrent.
« Où est l’infirmière ? demande Arnold
- Voyons Arnold, on est à Cylenne.
- Il paraît que tu as vomi sur Armelle Roland, me dit Patrick
- Les nouvelles vont vite.
- Tout le monde cause de toi au lycée. T’as quand même vomi sur un canon !
- Super, comme ça ils auront des choses à se raconter lorsqu’ils ne sont pas défoncés.
- Ouais et d’après mes sources, ça n’a pas empiré ta réputation.
- Parce qu’elle se trouve déjà au stade de non-retournement. Qu’est-ce que cela pouvait changer ?
- Ben, commence Arnold, la psychopathe ne viendra plus te lécher l’oreille.
- C’est un bon point positif alors. Même si les termes de cette phrase sont redondants. »
Soudain, à travers la vitre de l’infirmerie, un pigeon fait semblant de picorer du pain. Je sais qu’en vérité, il me surveille… C’est la mafia des pigeons…

Mercredi 10 mai.
C’est le mois de mai. Il fait chaud, les oiseaux copulent, tout le monde tombe amoureux… Mais c’est également l’arrivée massive des chaleurs des petites allumeuses en short ras la foune et du vol des mouches. Les allumeuses, on peut encore les faire disparaître à coup de tapettes dans le cul, mais les mouches ! Les mouches ! C’est une autre histoire ! Les mouches, le matin au petit-déjeuner ! Il n’existe rien de plus agaçant, irritant, exaspérant, enrageant, insupportable que le vol des mouches !
Là, j’en observe justement une qui se frotte les membres sur la cuillère sale de mon frangin parti aux toilettes. Je décide de me battre contre elle. Le combat commence. Elle a mis ses gants de boxe. Elle me menace en sautillant sur le lait du bol de mon frère et me montre rageusement ses poings. Sans le faire exprès, elle coule. Mon frère, habillé, coiffé et moustachu comme Tom Selleck dans Magnum, revient et jette son lait dans l’évier. Maman crie qu’il faut s’expatrier. Je me dépêche, je me lave les dents et enfile mes espadrilles.
Plus tard.
Je suis en cours de mathématique. Patrick ne dort pas. Etrange. Par contre, une mouche n’arrête pas de nous tourner autour.
« Patrick, qu’est-ce que tu as mis comme parfum ?
- Molasse de Gringuenaude bordel.
- Ton truc attire les mouches je crois.
- Mais pas n’importe quelle mouche bordel ! Tu vois cette mouche Erman ?
- Bas oui je la vois, elle m’agace depuis une demi-heure.
- Et bien vois-tu, la mouche qui t’agace depuis une demi-heure, ce n’est pas une mouche ordinaire, c’est la mouche intello.
- Comment le sais-tu ?
- Je le sais, bordel.
- Prouve-le.
- Elle ne voudra jamais se dévoiler bordel ! Si cela se sait, le gouvernement voudra faire des expériences sur elle. Il fera comme avec les pigeons.
- Non, les pigeons, c’est la mafia.
- Bref, le gouvernement tentera de la cloner avant d’utiliser enfin son ADN sur la génétique humaine. Nous serons alors envahi par des êtres supérieurs, moitié humain moitié mouche intello. Nous deviendrons ainsi des parias pour la société, car tout sera fait en fonction du bien être de ces êtres supérieurs. Nous crèverons…
- Elle s’en moque certainement.
- Pas moi bordel !
- T’as peur du gouvernement ? Toi Patrick ? Toujours prêt pour l’anarchie ?
- De toute façon, elle ne voudra certainement pas m’écouter.
- Essaie. »
Patrick murmure quelque chose dans l’oreille introuvable de la mouche. La mouche s’approche aussitôt de son oreille et semble lui dire quelque chose.
Patrick m’annonce : « Elle t’a insulté. Elle dit que tu es un conneau aux balustrines molassonnes.
- Ce n’est pas très sympa.
- Non c’est sûr. »
Silence.
Nous écoutons le professeur pendant quelques secondes.
Silence.
Je finis par demander : « Pourquoi elle a dit ça?
- Je ne sais pas. »
-Silence.
…
« Demande-lui pourquoi elle a dit ça.
- D’accord. »
Il prend la mouche et lui demande. La mouche s’approche de l’oreille de Patrick. Quelques secondes passent.
Soudain, Patrick me jette violemment un regard horrifié et me lance agressivement : « Tu as failli la tuer ce matin bordel !
- Quoi ? T’es pour la protection des mouches ?
- Mais exactement ! Depuis toujours bordel ! La PDM a toujours fait partie de mes projets ! Je pourrais t’intenter un procès pour ton ignoble action ! Bordel ! Le fait que tu sois mon ami rend cette situation délicate.
- De toute façon, ce n’est pas moi qui ais essayé de la tuer, elle a coulé toute seule cette conne.
- J’ai du mal à te croire ! Mais tu es mon ami, il faut régler cette affaire autrement. Elle t’attend ce soir à la sortie pour un duel. Tu dois venir seul et sans armes.
- Même sans arme je la nique direct.
- Ne sous-estime pas la force d’une mouche bordel ! »
A la sortie des cours, près de l’église.
J’ai faim. Il est midi trente-sept et mon ventre s’engage pour un concerto en Ré Mineur. La mouche arrive. Elle me fonce dessus. J’ouvre la bouche. Je l’avale.

Vendredi 12 mai.
Il était une fois, un gros petit pois, qui possédait un toit, qui n’avait jamais froid, il ne mangeait que du foi, il avait beaucoup de poids et un jour, il est mort.
Autrement dit : « Même les patrons font caca. »
C’est le matin. Nous sommes, Christoph, Marshall et moi, enracinés sur un banc entre le lycée et la boulangerie. J’ai la margoulette dans la raie de mon pouf, façon de parler, c’est physiquement impossible pour moi car je ne suis pas souple. Christoph est très heureux en ce moment car Léa Chazaud, une chose indescriptible, a cessé de le harceler. Maintenant, elle tourmente Steve Fisher, le garçon qu’on déteste autant que Dolph Lungren. Léa Chazaud, c’est une substance malséante qui souille la planète. Il est impossible de l’apprécier, tout est repoussant chez cette « fille ». Cette fétidité est une psychopathe. Elle affectionnait passionnément Christoph, lui envoyait d’atroces lettres d’amour et de morts, des photos d’elle toute nue… Christoph a failli se retrouver à l’hôpital psychiatrique pour dépression chronique. Bref, tout va pour le mieux depuis que Léa vénère et harcèle Steve Fisher.
Plus tard.
Nous sommes devant l’église. Nous jetons des mies de pains aux oiseaux absents en murmurant mélancoliquement Gloria de Them. Christoph nous a épongé sa bonne humeur et a aussi démontré avec peu d’arguments, que nous ne risquons pas de rencontrer une jouvencelle palpitante devant le lycée. Ni devant l’église je pense, mais Tranquillité y règne. Et parfois, Tranquillité est plus bandante que les adolescentes.
Ici nous attendons. Ou alors, nous n’attendons rien. Nous sommes juste là, à ne rien faire.
Soudain, Hazel Tobolowski sort de l’église. Marshall a une attaque, il tombe à terre. Je hurle. Hazel se catapulte sur lui toute effarouchée. Elle nous ordonne de sa jolie voix, d’appeler les pompiers. Christoph plonge dans une cabine téléphonique avec un vieux lutin paresseux qui s’appelle Oscar. Je regarde la scène. Je ne fais rien. Je ne m’inquiète pas, Marshall a le cœur solide. En les voyant réunis à cet instant, je ne vois rien. L’étincelle de l’amour n’apparaît pas. Ils n’ont vraiment rien en commun. Il voit en elle une divinité. C’est chimique. Parfois, on est incroyablement attiré par des gens. On est obsédé. Tous nos sens ne jugent que pour cette personne jusqu’à en perdre la raison. On a le cœur qui remonte dans sa poitrine et on ne comprend pas ce qu’il se passe. Hazel n’est qu’une simple fille au fond. Une simple fille vêtue d’un pantalon en velours bleu et d’un pull blanc. Une simple fille qui porte un mec mort cloué à une croix autour du cou. Un mec qui s’appelle Jésus. Qui autrefois a certainement fait des choses formidables mais qui pour nous est bien loin de la vie de maintenant. D’accord, elle a un physique qui ferait bander un ours. Mais des filles aussi belles, on peut en trouver ailleurs. Alors qu’a-t-elle de plus que les autres ? C’est chimique. Quelque chose d’invisible…

Samedi 13 mai
Marshall, Christoph, Patrick, Arnold, Benjamin et moi sommes assis sur un banc, dans un endroit qui n’existe pas. Nous contemplons passivement les automobiles circuler à travers un espace temps parallèle à celui qui ne ressemble pas au nôtre. Christoph, Patrick et Arnold viennent de savourer des champignons hallucinogènes avec du clafoutis aux raisins secs. Marshall tente de se remettre de son one-man show masturbatoire.
« Putain, j’ai trop bandé, nous lance Marshall
- Putain, fait Christoph, on ignore pourquoi.
- Les mecs, j’ai une question, articule Arnold, est-ce que l’eau se noie ?
- Quelle eau ? demande Christoph.
- L’eau qui se noie bordel ! répond Patrick.
- Ben, si c’est l’eau qui se noie, qui se noie, c’est qu’elle se noie, assure Christoph.
- C’est tellement logique, prononce Patrick.
- L’eau se noie, c’est beau comme phrase ! s’exclame Benjamin.
- Non ça pue, marmonne Patrick.
- Qu’est-ce qui pue ? demande Arnold.
- L’eau qui se noie, répond naturellement Marshall.
- Bordel ! s’écrie Patrick avant de tomber sur le sol.»
Personne ne le relève. Il s’endort sur le trottoir en faisant des bulles avec son nez. Christoph s’effondre à son tour sur le goudron. Jonathan surgit d’une flamme.
« Salut Jonathan, est-ce que l’eau qui pue se noie ? demande Benjamin.
- Pourquoi faire ? répond Jonathan.
- Et les mecs ! Mes doigts s’agrandissent ! hurle très fort Arnold. »
Jonathan prend la place de Patrick et nous prolongeons nos regards vers la cavalcade de carrioles à moteur.
Nous nous horripilons épouvantablement.
Silence.
« Je suis un mutant ! Hurle trop fort Arnold en fixant ses mains. »
Silence.
Nous observons les berlines.
« Erman, est-ce que je me transforme ? me demande Arnold en me mettant ses mains sur mes yeux pour que je ne puisse plus rien voir.
- Mais non Arnold, tout va bien, je réponds.
- Ah bon ? s’étonne Arnold avant de s’étaler sur Patrick ».
Soudain, des babouins communistes surviennent. Nous savons que ce sont des babouins communistes à cause de leurs culs rouges. Ils ne se joignent pas à nous pour nous donner des prospectus mais pour nous ingurgiter la cervelle. Les babouins communistes sont une organisation secrète créée par le gouvernement en 1996, et délaissée dans la rue pour des raisons totalement obscures. Les babouins communistes, fans des Troggs, veulent conquérir le monde mais comme ils sont peu nombreux, ils se contentent de nous faire peur de temps en temps. Alors nous partons au parc de Livoyler.

Mercredi 24 mai
Je me demande pourquoi je suis présent actuellement dans cette charmante salle, loin de toute civilisation. Je commence à 10h30, et bêtement je suis au foyer des élèves à 8h36. Si ce n’est pas miséricordieux ! Patrick vient d’arriver. Il s’installe en face de moi et croque savoureusement une Golden parsemée de glycocolles. Hier soir, mon frangin poilu a encore provoqué les pleurs de ma mère. Il s’est remis à brûler des voitures avec des gamins des Cités avoisinantes. Je doute que la purification du cerveau appliquée par les Rottens Sisters, soit efficace.
Marshall nous rejoint. Il nous annonce qu’il a kidnappé un vampire cette nuit. Le nocturne a tenté de lui pomper le sang. Mais heureusement, mon ami s’est transformé en gorille à temps et a enfermé la fictive créature porphyrique érythropoïèsique dans son placard.
Je veux le voir. Je n’ai jamais vu un vampire dans le monde tangible. Marshall nous invite chez lui. Nous allons du lycée jusqu’à Vennasch : une plaisante excursion qui te bâfre la plante des pieds.
En arrivant chez Marshall, sa mère adoptive le querelle : « Marshall ! Y’a un type dans ton placard !
- Non maman! J’espère que tu ne l’as pas mis au soleil ! Il est photosensible!
- Non, y’est toujours. Il déteste la lumière qu’il m’a dit! hurle-t-elle très très fort pour que les cheveux de Patrick s’envolent. »
Nous grimpons dans la mansarde de Marshall où l'émanation est fortement désagréable. Dans sa chambre, les meubles sont fracassés, la moquette arrachée. Marshall ferme ses volets et ouvre le placard. Là, à l’intérieur, un type me fixe avec des yeux rouges ensanglantés. Il ressemble au chanteur de Einstürzende Neubaten, vous savez, le gars des Bad Seeds dont je ne me souviens plus du nom. Bref, le vampire porte une cape noire, un nœud de papillon noir, un smoking noir.
Patrick s’écrie : « Bordel ! J’adore ses lentilles de contact !
- Ce ne sont pas ses lentilles de contact crétin! Ce sont ses vrais yeux ! se fâche Marshall.
- Oh bordel ! Il a de purs yeux ! »
Moi je ne dis rien. Je suis charmé par l’être omnipotent qui se découvre devant moi. Patrick propose de le libérer. Marshall refuse. Il assure que c’est lui qui l’a capturé et qu’il en fait ce qu’il souhaite. Patrick et Marshall se disputent. Patrick atteste que les vampires n’appartiennent à personne.
Plus tard.
La mère adoptive de Marshall nous a raccommodé le pantalon jusqu’au lycée car elle souhaite que nous ayons de bonnes notes. Patrick et Marshall se chicanent toujours.
J’apprends du larynx de Christoph que Julien Le Botaniste de Cylenne quitte le Métier. Il a décidé de se consacrer plus sérieusement à ses études. Moi, je m’en moque, je ne fume plus rien.
Plus tard.
Marshall, Christoph, Patrick, Arnold, Benjamin et moi sommes à Vennasch en train de scruter le vampire du placard.
Il ne dit rien.
Nous non-plus.
Silence.
…
?
…
Au bout d’une très très longue interruption conciliabulique, Benjamin déclare : « Il est moche.
- C’est toi qui es moche ! se crispe Marshall.
- Libère-le bordel ! ordonne Patrick.
- Non, il va nous bouffer ! s’inquiète Benjamin.
- N’importe quoi ! Qu’est-ce que tu veux qu’il fasse contre nous tous bordel ? dit Patrick.
- Mais arrête de dire bordel !
- A-t-il réellement une carence en globules rouges pouvant l’inciter à commettre des tranchées jugulaires ? demande Christoph.
- Qu’est-ce qu’il fout dans ton placard ? questionne Arnold.
- Il faut le libérer bazar ! continue Patrick.
- Il a l’air con.
- Est-ce qu’il se transforme en chauve-souris comme dans les films avec Christopher Lee ? demande Benjamin.
- Libère-le !
- Non, il est à moi !
- Il n’appartient à personne bordel !
- Mais arrête de dire bordel !
- Pourquoi il est habillé en pingouin ? Il est serveur dans un quatre étoiles? questionne Arnold.
- Un vampire serveur ? Non, il doit être maître d’hôtel plutôt, affirme Christoph.
- Il ne ressemble pas au Pingouin de Kourkov.
- Il est moche, reprend Benjamin.
- Ouais, il a une tête de fouine, fait Arnold.
- C’est pas parce qu’il est dans ton placard qu’il t’appartient bordel ! hurle Patrick.
- Putain, c’est pas toi qu’il a essayé de sucer ! crie Marshall.
- Sucer quoi ? demande Christoph.
- Tu ne vas pas le laisser dans ton placard toute ta vie bordel ! lance Patrick.
- Mais arrête de dire bordel !
- Non, pas une tête de fouine, plutôt une tronche de hamster, dit Benjamin.
- Ouais, t’as raison. Plutôt une tronche de hamster. »
Ils continuent de se quereller mais je n’entends plus rien. Mon cerveau farandole dans ma tête. Tous les sons se détournent. Je suis entièrement captivé par la magnificence et la sublimité d’une si céleste créature. Il ne m’a pas quitté des yeux depuis tout à l’heure. Il semble se noyauter en moi. Je chancelle. Je suis si ébloui, si enchanté par l’éclat de son auréole rouge cerise.
« De toute façon, il fait jour ! Si je le relâche il va crever ! s’exclame Marshall.
- C’est un vampire barman ! s’écrie Benjamin.
- Je déteste sa chemise. Franchement, les barmen pourraient faire des efforts de goûts vestimentaires. Il est ringard, annonce Arnold.
- T’es pour la défense de tout toi ? C’est pour foutre la merde ou c’est réellement par conviction ? Espèce d’anarchiste ! hurle Marshall.
- Je prends ça pour un compliment, sale lâche !
- Il faut prévenir Buffy ! déclare joyeusement Christoph.
- Par contre, j’aime bien ses chaussures, il doit sans doute les cirer souvent, ajoute Benjamin.
- C’est normal s’il est barman, il ne peut pas se présenter devant les clients avec des chaussures crasseuses, remarque Arnold.
- Ferme-la binoclard !
- Ouais, ça t’arrange bien de critiquer mon physique, sale misanthrope !
- Les clients ne peuvent pas voir les chaussures, il est derrière son comptoir.
- C’est pour cette raison que je pense qu’il est plus maître d’hôtel que barman.
- Et les gars ! je m’exclame soudainement. »
Ils cessent leurs grésillements verbaux grotesques.
Ils me fixent.
Je demande naïvement : « S’il me mord, deviendrais-je un vampire?
- Je suppose, répond Marshall.
- J’ai envie d’être un vampire.
- T’es fous ? Tu seras obligé de porter des fringues de vieux ! fait Patrick. »
Tout à coup, d’un élan que je n’explique pas, j’offre mon cou à l’aspirateur d’hémoglobine. Il tente de me planter ses crocs mais les compères, plus expéditifs que l’éclair, nous séparent, nous insultent, nous grognent. Marshall claque la porte de son placard sur la truffe du démon, Christoph me pousse sur les restes du petit fauteuil en peau de zèbre, Patrick me gifle en m’insultant et Arnold hurle comme une fillette qui a fait tomber son esquimau glacé.
Silence.
Mon cœur se fustige très vite. Je reviens doucement à la réalité. Je me rends compte peu à peu de mon étourderie funeste. Pourquoi ai-je entrepris ce geste infortuné ? Il semble que j’ai été guidé par une force invisible.
Marshall regarde Patrick. Patrick s’approche du placard. Marshall dégage les volets, Patrick ouvre le placard et le vampire s’enflamme. Au moins, ils se sont mis d’accord ces abrutis.

Mardi 6 juin
Une rumeur bondit plus vite que le Lièvre de Vatanen : un nouveau botaniste s’est édifié dans la ville et cet horticulteur excentrique possède la connaissance divine. Il contrôle la production secrète de la drogue vertueuse à base de coquelicot. Celle qui est calligraphié dans les Livres Sacrées du Paradis Artificielle, celle que même le plus grand botaniste n’est jamais parvenu à fabriquer. Cette substance illégale serait d’une qualité impressionnante et ses effets seraient des plus distrayants.
Ce nouveau botaniste s’appelle Mathieu, mais nous le surnommons le Roi des Coquelicots. Il possède plus de quatre hectares d’herbes aromatiques, thérapeutiques et illégales différentes. Son art est si délicat qu’il a attiré plus de la moitié de l’agglomération. Mathieu ne travaille pas seul contrairement à Julien. Il est associé avec le célèbre vendeur de drogue : Thierry Tafouf. Plus précisément, Seigneur Tafouf, le Seigneur du commerce. Ce curieux bipède est capable de vendre des graines de fouines en plastiques à un poivrot de campagne.
Nous avons rendez-vous aujourd’hui au Potager Planant pour expérimenter son œuvre.
Bienvenue Au Potager Planant.
« Mes chers défoncés, vous êtes invités à goûter ma création ». Il se lève. Il ne ressemble pas du tout à un dealer. Il porte une cape rouge et un costume vert à la Superman avec un grand M doré, cousu au milieu.
« Je vous prie de bien vouloir me suivre ».
Il sort. Nous le suivons. Nous introduisons un immense jardin. L’odeur des plantes me transporte dans un univers paradisiaque. Nous marchons, marchons et enfin, nous atteignons un petit champ de coquelicots. Seigneur Tafouf tente d’en cueillir un. Mathieu lui flagelle violemment la main avec une laisse de chien et hurle : « Non, pas toi ! ». Seigneur Tafouf se retire offusqué. Mathieu cueille délicatement trois coquelicots et pénètre, le regard hautain, dans une petite cabane de bois en marbre inexistant. Dix minutes passent. Il sort.
« Voilà ! » Il nous présente un énorme cône d’un mètre vingt. De la bave coule le long de mon menton. Il l’allume avec un chalumeau.
Plus tard.
Je ne sais pas si c’est l’effet du coquelicot mais je vois une apparition Apocalypse Nowtique de Marlon Brandon qui se frotte le crane. Des Vietnamiens me tirent dessus. Je me planque derrière des buissons. La boue pénètre le tissu de mes vêtements déchirés. Je rampe énergiquement. La boue. L’odeur. La guerre est vraiment atroce. Marshall près de moi, regarde le ciel. Il annonce qu’il est beau avec tous ses nuages qui pleurent. Oh mon Dieu ! Il est en train de mourir ! Je le prends dans mes bras, je le rassure. Une sorte de souffrance irréelle coule tout le long de mon corps, comme des brûlures froides ou chaudes… J’ai si peur de le voir mourir. Je hurle le prénom de Marshall. J'avanie les Vietnamiens. Je contemple le ciel attendant un signe du Dieu des athées. Mon cœur se compresse dans ma poitrine. The End des Doors s’enfonce dans mes veines. J’ai tellement peur… Je sers Marshall très fort dans mes bras. Mon visage se couvre de larmes enflammées. Et je hurle son prénom. Je fais vibrer son prénom dans ma voix pleine de ressentiments et de meurtrissures. Marshall ! Marshall ! Personne pour m’aider… Ma gorge me déchire. Marshall ! Je lève mes yeux mouillés vers le ciel. Christoph me montre du doigt en gloussant. Mais je ne l’entends pas. Je ne vois que son visage reflétant le bonheur. Pourquoi rit-il ? Est-ce une illusion ? Soudain, Marshall me repousse et m’annonce que sa langue lui a parlé. Marshall n’est pas mort ! Le ciel m’aurait-il entendu? C’est si merveilleux ! Marshall me parle : « Tu sais ce qu’elle m’a dit ?
- Non, qu’est-ce qu’elle a dit ? Je lui demande.
- Elle m’a avoué que les tortues sont hermaphrodites comme les Dieux !
- Quoi ? Les tortues sont des Dieux ».
Alors nous nous levons. Nous allons jusqu’à la rivière d’Oymor pour vénérer les tortues. Nous formons un culte avec des grandes bougies parfumées à l’opium et des banderoles vertes et rouges. Nous prions pour les tortues.
Puis, soudain, je regarde Marshall. Je regarde autour de moi. Nous sommes toujours au Potager Planant. Mathieu nous fixe froidement. Je lui demande ce qu’il s’est passé. Il me répond que sa maison est envahie par des tortues que j’ai emmené ici. Il ajoute que j’ai fabriqué une Eglise en carton sur le toit de la piscine municipale.

Mercredi 7 juin, après-midi.
Mathieu, le Roi des Coquelicots vient me chercher. Il m’annonce sinistrement que sa préparation semble avoir eut un effet secondaire sur Arnold Lerows. Nous allons tous chez les Lerows.
Arrivé chez Benjamin et Arnold, nous voyons Seigneur Tafouf assis sur une chaise devant la chambre d’Arnold. Nous nous glissons dans la pièce. Un souffle glacé nous dresse les poils de nos gonades, une pestilence rappelant l’œuf pourri envahit les quatre murs. Arnold est couché sur le dos, la tête relevée par un oreiller. Il est attaché au lit par des courroies. Ses yeux sont jaunes et pleins de malice. Sa peau est presque verte avec des cloques sur le visage. Il est griffé de partout et squelettique, lui qui a une proportion de graisses faramineuse ! Cette atmosphère me rappelle quelque chose.
« Ca va Arnold ? je demande.
- Je ne suis pas Arnold ! lance-t-il d’une voix d’outre-tombe ».
Je sais à quoi cela me fait penser : Linda Blair dans L’Exorciste.
« Mais Arnold, c’est moi, ton pote Erman !
- Si tu es mon ami, enlève donc ses courroies ! »
Je regarde Mathieu et lui demande : « Il a fumé combien de cône ?
- Un seul ! répond Mathieu sous un air de défense. »
Christoph s’approche d’Arnold : « La vache ! T’es encore plus moche que le vampire qu’on a vu l’autre jour !
- T’es qui toi ? gronde Arnold avec un rictus hideux. »
Ces yeux brillent de ruse. Ce n’est pas Arnold. Arnold est bien trop idiot. Il semble être possédé par un esprit maléfique.
Je questionne : « Et toi ? Qui est-tu ?
- Je suis le Diable.
- Si tu es le Diable, pourquoi ne pas faire disparaître ces courroies ?
- Ce serait une démonstration de mon pouvoir beaucoup trop vulgaire. Trop banale. Après tout, je suis un prince ! Je préfère de beaucoup la persuasion, le rapprochement, la participation de la communauté. En outre, si je détache moi-même ces courroies, je vous prive de l’occasion d’accomplir un acte de charité mon cher.
- Ce type n’est pas Arnold, déclare Christoph. Arnold est beaucoup trop stupide.
- Ouais, enfin moi j’ai trouvé que c’était une réponse vraiment naze, nous avoue Jonathan. »
Marshall demande s’il faut appeler un prêtre exorciste ou un psychiatre.
Soudain, Mathieu saute sur Arnold et hurle : « Sort ! Sort Démon ! Esprit malveillant! Je t’ordonne de sortir de ce corps ! T’es moche ! Tu pues ! Et à cause de toi, ma réputation risque d’en prendre un coup ! Sort esprit démoniaque ! »
Arnold lui vomit dessus, Mathieu tombe à terre. Il s’essuie le visage sur la moquette et s’en va en courant. Arnold ricane. Je le fixe. Je demande à Jonathan : « Est-ce vraiment le Diable ?
- Pas du tout. »
Jonathan connaît le Diable, c’est son père. Jonathan s’adresse alors à Arnold : « Qui es-tu ? Nous savons que tu n’es pas le Diable !
- Ok, j’avoue. Je suis le démon Lumbubatchi.
- Quel est ton pouvoir ?
- Je peux bouffer cinq pizzas en trois minutes !
- Prouve-le ! »
C’est alors que Mathieu défonce la porte et entre avec un crucifix. Il se jette sur Arnold et refait la même tartine qu’il y’a cinq minutes : « Sort démon ! Je t’ordonne de quitter ce corps ! Sort démon ! »
Arnold lui vomit dessus. Seigneur Tafouf entre et recouvre le lit d’ail. Mathieu se met à danser le long de la pièce. Seigneur Tafouf place des gousses d’ail dans tous les coins de la chambre. Le démon s’écrie avec sa voix digne d’un buveur de cervoise bretonne : « Je ne suis pas un vampire! » Une force invisible les projette brutalement tous les deux contre le mur, ils s’évanouissent. Le démon ricane. Puis il nous fixe de ses yeux jaunes et sournois. Le rictus hideux est toujours présent.
Je demande : « Que veux-tu faire d’Arnold ?
- Je laisse le cochon pourrir !
- Il est déjà pourri, signale Jonathan.
- Arnold a une surcharge pondérale assez patibulaire mais ce n’est pas un cochon quand même! je déclare.
- Il est gros quoi, ajoute Benjamin.
- Ton frère va crever ! s’écrie le démon.
- Ce ne sera pas une grande perte, annonce froidement Jonathan.
- T’es vraiment un enfoiré Jon ! s’exclame Patrick.
- Ne commences pas à te disputer Pat, t’as aucune chance contre moi.
- C’est pas possible, ta cruauté dépasse tout bordel !
- Non c’est la mienne ! hurle le démon.
- La ferme Arnold, j’essaye de te défendre bordel !
- Mais arrête de dire bordel !
- Faut toujours que tu te disputes avec quelqu’un Pat.
- Et toi tu cherches! Tu crois que c’est bien généreux de dire qu’Arnold ne sera pas une grande perte bazar ! affirme Patrick.
- C’est vrai Jon, parfois t’es une vraie enflure ! dit Christoph.
- C’est bon, tous contre moi ! s’écrie Jonathan.
- Et ! C’est moi le démon ! s’exprime l’être dans Arnold.
- Forcément qu’on est tous contre toi ! On a l’impression que tu te sens obligé…
- T’as pas de cœur ma parole ! »
Les mecs continuent de se disputer. Thierry et Mathieu se fument le reste du bedo d’Arnold. Marshall et moi descendons dans le salon pour avoir plus de calme. Il faut trouver une solution. Nous appelons les Rottens Sisters. Une minute plus tard, elles apparaissent par téléportation sur le canapé. Nous leur expliquons ce qu’il se passe. Elles désirent le voir. Nous montons.
Jonathan et Patrick se donnent des coups de poing, tandis que Benjamin et Christoph tentent de les séparer en leur tirant par les cheveux gras. Le démon glousse en voyant les Rottens Sisters : « Bien ! Bien ! Bien ! Ainsi c’est vous qu’ils ont emmené. Eh bien, vous n’êtes vraiment pas redoutables, je n’ai rien à craindre de vous, rien du tout. »
Les Rottens Sisters sortent. Nous les suivons.
Talheur : Il est d’une banalité !
Papie Greta : C’est clair.
Fleurdecactus : Sommes-nous dans l’obligation de faire appel à la Spectra-exorciste ?
Talheur : Non inutile.
Fleurdecactus : Donc, nous avons besoin de la pelleteuse artificiellement modifiée ?
Talheur : En effet, cela nous sera plus nécessaire.
Elles vont chercher un énorme engin étrange avec leur machine de téléportation. Elles demandent de les laisser seule avec le phénomène. Tout le monde sort de la chambre. Elles ferment la porte derrière elles. Au bout de quelques secondes, nous entendons des hurlements suivis d’un bruit de moteur, quelques vrombissements violents telle une tronçonneuse. La maison bouge comme si nous étions sur la faille de San Andrea. Puis, silence. Un silence étrange. Les Rottens Sisters sortent, les cheveux décoiffés. Nous leur demandons si tout se passe bien. Elles s’en vont après nous avoir cracher dessus. Nous nous précipitons dans la chambre et nous voyons bouffi et souriant notre Arnold, et nous entendons : « Et les mecs, pourquoi je suis attaché à mon lit ? Et pourquoi les Rottens Sisters étaient là ? Et pourquoi je suis torse-nu ? Est-ce que j’ai fait l’amour avec les Rottens Sisters ? Et pourquoi vous êtes tous là ? Et pourquoi… »

Mercredi 21 juin
Ce soir, c’est la fête de la musique. Chez nous, c’est toujours la fête de la musique. Et c’est pour cette allégation ultime que ce soir, nous ne fêterons rien. Nous pourrions rejoindre jovialement Jonathan et son groupe satanique au parc de Livoyler, mais non ! Cette nuit, c’est nuit vidéo. Nous nous sommes cuisiné des gaufres et des pancakes. Les boissons sont gracieusement au rendez-vous, et les films aussi. Ma mère dort chez son amant et mon petit-frère chez ses maîtresses.
Ce soir, Evil Dead II de Sam Raimi pour la vingt-septième fois, c’est une tradition, Bruce Campbell étant notre idole et Sam is God ! Incubus de Leslie Stevens, le film où William Shatner nous apprend à discourir en Esperanto. Pecker de John Waters. O’Brothers des frères Cohen avec notre Dieu Jon Turturro. Hight Fidelity de Stephen Frears avec notre second Dieu John Cusack. Chat noir chat blanc de notre troisième Dieu Emir Kusturica. Wayne’s World II pour la cinquante sixième fois. Buffet Froid de Blier et nous terminerons comme toutes nos nuits vidéos avec Gena Rowlands et notre autre Dieu Peter Falk “Tell me what you want to be. How you want me to be. I can be that. I can anything. Just tell me, Nicky !” . Je préfère Peter Falk dans Les Ailes du désir mais mes potes sont capables de s’endormir devant cette œuvre. Ceci Une excellente soirée en perspective avec mes amis Christoph, Arthur, Patrick et Marshall.
Minuit.
Actuellement, nous regardons Evil Dead II. Arthur s’est effacé sous un polochon en ivoire cristallin inexistant depuis quarante minutes. Patrick dort, il a absorbé la bouteille de rhum. Marshall, Christoph et moi faisons tourner le cognac à petites doses car nous adorons ce film.
Soudain, la sonnette de la porte d’entrée retentit. Arthur hurle, Christoph casse la bouteille entre ses mains.
Je me lève et demande à travers la porte : « Qui c’est ? Etes-vous un psychopathe cannibale échappé de l’asile ? »
Une chaleureuse voix féminine me répond : « Je suis perdue et toute seule.
- Vous êtes bandante ? demande Christoph. »
Marshall et Arthur l’invectivent.
Elle continue : « Puis-je rentrer et appeler mon père pour qu’il vienne me chercher ? »
J’hésite.
Et si avec elle, une meute de Skin-Head aux dents lacérées, assoiffée de chairs fraîches bavait ignoblement derrière la porte ? Arthur s’approche avec une batte de base-ball. Elle me raconte qu’elle était chez son copain, qu’ils se sont chicanés et il l’a jeté dehors comme une vulgaire graine de pigeon. Elle habite loin et a peur de prendre le train. Christoph lèche la porte au son de sa voix. Il est répugnant. « Ouvrez-moi je vous prie. »
Ne faîtes confiance à personne disait Deep Throat !
« Arthur, ouvre la porte ! J’ordonne.
- Quoi ? Mais c’est chez toi !
- D’accord, je reste derrière toi. »
Mais Christoph ouvre la porte. Et là, devant nous, une déesse apparaît ! Une femme magnifique et très excitante ! Une bombe explosive qui nous pulvérise les yeux sur les quatre coins de la planète ! Une femme avec un corps que je lècherais volontiers. Une créature divine ! Mais c’est encore Christoph qui va se la manger.
Elle entre. Arthur pose sa batte de base-ball sur le sol. Christoph entraîne la splendeur dans le salon. Je ferme la porte.
Elle se prénomme Churris. Drôle de nom. Christoph lui a proposé de rester et elle a accepté. Ils sont tous les deux dans la salle à manger, en face du salon, en train de se raconter des obscénités. Je regarde Marshall. Il les fixe méchamment. Marshall est naturellement impassible face à toutes choses, à tous mouvements. Ce regard excessivement glacé est bien entendu inhabituel. Arthur la fixe également avec un œil regorgeant de mépris. Je leur demande ce qu’ils ont. Arthur me répond qu’elle ressemble à une mégère, que ce ne sont pas ses vraies fesses et qu’elle porte du coton dans son soutien-gorge. Mais Marshall me saisit violemment par le col et me chuchote à l’oreille : « Non, ce n’est pas une mégère qui porte du coton dans son soutien-gorge. C’est une démone succube.
- Pardon d’être inculte, chuchote Arthur, mais c’est quoi une démone succube ?
- C’est un démon qui vient séduire les hommes et qui les fait devenir des démons par accomplissement d’un acte charnel, je réponds.
- C’est horrible. Marmonne Arthur.
- Oui, mais elle, elle est pire que tout. Elle pratique la fellation, annonce Marshall.
- Oh mon Dieu, qui résisterait à une fellation ? Je m’exclame.
- C’est pour cela qu’elle est très dangereuse.
- Comment fait-on pour s’en débarrasser ? Demande Arthur.
- Il faut lui couper la tête ! Propose Marshall.
- Pas chez moi ! Je vais devoir encore tout nettoyer !
- Nous t’aiderons, grâce à Marjax salle de bain, ton sol carrelé reste propre et les odeurs disparaissent. Tout le monde aime Marjax salle de bain ! »
Ce chapitre a été sponsorisé par Marjax salle de bain.
Discrètement, Marshall va chercher une hache dans la vieille cabane à outil de l’oncle Bob qui vivait en Amérique comme esclave, il y a bien longtemps de cela. A l’époque, il cultivait du coton dans l’Etat du Mississippi et rencontra Huckleberry Finn… Arthur et moi tentons de faire diversion en parlant de la vie de Mark Twain avec Churris et Christoph qui s’en dédaignent totalement.
Quelques minutes après, Marshall revient et d’un seul coup, décapite la tête de la succube. Nous hurlons. Une projection d’hémoglobine se propulse sur nos visages terrorisés. Le corps de la sorcière s’effondre mais remue encore. Marshall tranche le corps en deux. Christoph hurle à s’arracher la gorge. Une mare de sang dégouline sur mon carrelage. Christoph hurle très très fort pour mieux me briser l’ouï : « Ah ! Putain ! Vous êtes malades! Aahh !
- Calme-toi vieux, c’était une démone succube, je prononce.
- Ah bon ? Alors vous m’avez sauvé la vie. Merci les copains.
- Il faut enterrer les morceaux dans le jardin, déclare Marshall.
- Non mais ça va pas ?! Je m’écris.
- Et qu’est-ce que tu proposes ? Me questionne Christoph.
- Et si nous l’enterrions dans le jardin de Séverine Perrer ? Je propose.
- D’accord, mais que faisons-nous de tout ce sang ?
- Et bien Arthur, grâce à Marjax salle de bain ! »
Marjax salle de bain, c’est bien !
Patrick se réveille au bout d’une heure. Nous sommes en train de regarder Wayne’s World. Il se frotte les yeux, baille et nous demande : « J’ai loupé un bon film ?
- Ouais, affirme Christoph, un film avec une démone succube découpée en morceaux.
- Bordel… »

Mardi 18 juillet
Nous nous promenons au parc de Livoyler, le seul et unique secteur à Cylenne capable de nous séduire. Les arbres et les lièvres y sont extraordinaires. Christoph, Patrick, Pierrot de la Lune et moi tentons de supprimer Hazel de l’esprit de Marshall avec le meilleur arsenal que nous connaissons : nous sommes des sybarites.
« Marshall, elle est vierge ! déclare Christoph.
- J’ai déjà fait l’amour avec des vierges, conteste Marshall.
- Oui, mais elle, elle souhaite le rester ! ajoute Patrick.
- Sauf si je lui montre mon pénis, annonce Marshall.
- C’est une sainte Marshall ! Tu vas lui faire peur avec ton pénis ! je m’exclame.
- Tu n’as pas tort, avoue Marshall, il est tellement énorme.
- Nous sommes à jamais des exclus de l’Eglise bordel ! s’écrie Patrick.
- Et ça t’étonne ? demande Christoph.
- Je sais ! Mais elle est si belle ! prononce Marshall.
- Ses seins ! Si Dieu existe, il a trop de chance bordel ! hurle Patrick.
- Mais arrête de dire bordel !
- Elle a des fesses si délicates, confie Marshall.
- Elle ne mouille pas, je certifie instantanément. »
Ils s’arrêtent brusquement en hurlant comme des blondes de films gores.
« Aahh !
- C’est vraiment horrible de dire des choses aussi abominables ! hurle Marshall.
- T’inquiètes, le gel lubrifiant est un procédé garanti pour ce genre de désœuvrements.
- Mais cessons de parler de cette vertueuse mes frères ! Il est temps de… »
Nous sommes coupés par l’arrivée inopinée d’un petit cochon rose. Il s’appelle Babe. Il nous demande de bien vouloir l’aider à retrouver sa mère Marguelette. Au nom de Piggy de Nine Inch Nails, nous acceptons. Nous sommes à la recherche de la génitrice d’un cochon. Pierrot semble éreinté. Il décide de prendre l’avion de Saint-Exupéry pour faire un vol de nuit. Il pense qu’il va rencontrer le Petit Prince qui dessine des moutons et non celui de Machiavel. Pierrot fait ce qu’il veut après tout! Nous continuons notre exploration.
Tout à coup, Babe se met à courir jusqu’au tronc d’un arbre qui se décachette. Nous le suivons en galopant et pénétrons l’arbre. Nous atterrissons curieusement dans un Huis-Clos. Patrick a Les Mains Sales, Christoph a La Nausée. C’est très réduit ici. Nous demandons à Babe la raison de son engagement vers ce huis-clos, il nous répond qu’il pensait avoir vu sa mère.
Marshall aperçoit une petite issue derrière nous. Nous l’ouvrons, nous nous accroupissons afin d’excéder le franchissement et nous nous retrouvons dans un bois singulier avec des chemins colorés.
Patrick demande : « Où sommes-nous ?
- Il me semble… Mais oui ! s’exclame Christoph, nous sommes à Teshyland ! »
Un jour, alors que j’étais embourbé d’herbes célestines, je me persuadais d’être à Teshyland, mais ce n’était que le fruit de mon imagination… Aujourd’hui, je suis à Teshyland.
Divers panneaux nous indiquent les différentes voies disponibles pour clopiner. Teshyland est immense, il faut deviner les lieux les plus attractifs pour gâter nos sensations. Nous prenons un chemin qui s’appelle Sexe, parce que nous adorons le sexe. Ce chemin est bleu et bordé de tulipes jaunes. Nous marchons, marchons. Nous rencontrons un petit lapin qui nous relate son désir de créer un lac pour ses cygnes. Mais parce qu’il se fait taper sur les doigts régulièrement par Georges Balanchine, il va plutôt consacrer ses dons d’ouvrages pour plaire à ses quatre tempéraments. Et que, si Tchaïkovski refuse de l’aider, il cesserait le balai et la serpillière. Nous ne comprenons rien et continuons notre chemin.
Nous trouvons un poil de carotte sur la branche d’un arbre. Christoph grimpe pour le ramener sur la terre ferme. Les poils de carotte sont des poils porte-bonheur et celui-ci est par chance dédicacé Renard, c’est un poil de renard. Christoph le met dans sa poche et nous continuons notre chemin à la recherche de Marguelette.
Soudain, nous assistons à la chute d’un ange qui s’appelle Jocelyn. Je lui fais des confidences et elle me demande une certaine Martine. Je lui réponds que cette Martine là, je ne l’ai pas vu. Et personne ne l’a vu! Nous continuons notre route.
Ici, les arbres sont bleus et la lumière qui les éclaire est mauve. Tout est splendide ici! Teshyland est un village très sympathique mais l’absence de cohérence m’embrouille la cervelle. Nous rencontrons des choses insolites, des animaux qui nous enseignent des histoires que nous n’enregistrons pas. Nous marchons, marchons. Ce chemin me semble sans fin. C’est sans doute un chemin qui ne mène à rien, un chemin qui ne possède pas de fin.
« Les mecs, cela fait deux heures que nous marchons.
- Impossible, Teshyland ne possède pas de temps. Me répond Christoph.
- D’accord, mais cela n’empêche pas que je suis fatigué. Je dis.
- Nous arriverons quand nous serons arrivés.
- Sans blague ? Et ce sera quand bordel ?
- Aucune idée, Teshyland ne possède pas de temps. »
Nous continuons de marcher. Babe nous a suivi depuis le début. Il semble un peu attristé. Nous tentons de le rassurer. Christoph lui cause de Charlie la chocolaterie. J’ai envie de chocolat.
Soudain, au bout du chemin, nous percevons un arbre. Nous ne découvrons aucune autre issue. Il faut le franchir. Marshall s’exaspèrent. Il en a assez de pénétrer des arbres. Il doit inventer une solution. Christoph nous propose de faire le chemin inverse. Pas question! Nous sommes beaucoup trop épuisés. Finalement, nous entrons dans l’arbre…
Ô miracle ! Ô Beauté ! Ô splendeur ! Mes yeux sont aveuglés par cette si prodigieuse aquarelle ! Mes narines sont attirées par cette agréable suavité ! Devant nous, une vallée de marijuana verdoie sous la lumière d’un soleil turquoise. Je suis doucement bercé par le délicieux parfum qui émane tout le long de ma chair ! Je suis promené par ces sensationnels effluves au-dessus de la vallée verdoyante ! Tout mon corps est soulevé de la glaise ! Il est légèrement transporté en direction des sols teintés de milles verts et embaumés de l’arôme envoûtant. Je vol et me parfume de douceur. Je vol et traverse la vallée en laissant tous mes sens me prendre et me guider ! Je suis heureux, en parfaite plénitude. Mais le bonheur est toujours très court… Au fond de la vallée, un bruit de tonnerre nous paralyse. L’herbe s’assombrit et le soleil se cache derrière un oreiller. Le bruit se fait plus terrifiant. Mon cœur se lance dans un solo de batterie. Mes poils de bras se dressent et tentent de s’enfuir. Nous fixons le fond de la vallée avec la Peur devant nous. La Peur qui a peur aussi d’ailleurs. Soudain ! Un gigantesque animal aérien se dirige férocement vers nous. La Peur hurle. Nous suivons son cri. C’est un dragon ! Il crache du feu dans notre direction. Nous faisons demi-tour et précipitons notre pas vers la sortie en hurlant comme des petites pucelles écourtées. Nous nous projetons dans l’arbre et retombons brusquement sur le chemin bleu bordé de tulipes jaunes.
Tout est silencieux. Nous nous relevons. Patrick demande à Christoph : « Tu savais toi qu’il y’avait un dragon à Teshyland ?
- Pas du tout. Ca était une surprise autant pour moi que pour vous.
- Je veux retrouver ma maman… »
Babe se met à pleurer. Patrick le prend dans ses bras et tente de le rassurer. Nous faisons le chemin inverse en espérant retrouver la mère de Babe.
Plus tard.
Nous avons enfin atteint le seuil de la porte de Teshyland. Nous nous apprêtons à enfoncer l’issue du feuillu quand soudain, un nénuphar nous interpelle d’une voix stridente.
« Et vous ! Le gros tas de débauchés ! Une truie était là tout à l’heure ! Elle cherchait son petit ! Vous ne seriez pas les kidnappeurs ? Non parce que vous avez un cochon dans les bras et je me suis dit que vous étiez sans doute les criminels !
- Nous ne sommes pas des criminels ! Nous la cherchons justement !
- A Teshyland ? Vous me prenez pour une abrutie ou quoi ? Vous voulez me faire croire que vous êtes venus chercher un porc dans un champ de Marijuana ?
- Dit comme ça… C’est vrai qu’on n’a pas l’air crédible, déclare Patrick.
- Pourtant c’est vrai, j’ajoute. Vous ne pouvez pas nous dire où elle est ?
- Non ! Dégagez ! »
Nous sortons. Babe nous avoue que c’est la première fois de sa vie qu’il entend un nénuphar parler. Nous aussi d’ailleurs. Tout à coup, je m’aperçois que nous ne sommes pas loin de la caverne secrète de l’Homme Bouclette. Mon cœur se soulève brutalement, j’espère de toute mon âme qu’il n’est pas en train de cuisiné la mère de Babe. Nous entrons dans sa grotte.
Il semble absent. Patrick hurle son nom. L’Homme Bouclette apparaît par la porte invisible de derrière. Il nous demande ce que nous voulons. Nous lui disons. Il sort une cage de son placard où une truie dévore des os de lynx. Babe crie : « Maman ! ». L’Homme Bouclette veut la cuisiner. Babe se met à pleurer. Prit par la Pitié, L’Homme Bouclette accepte de relâcher Marguelette. Je suis fatigué. Je retourne chez moi me branler.

Lundi 24 juillet
Marshall et moi, nous nous promenons au Parc de Livoyler, le seul et unique lieu vraiment attachant dans cette cité psychotique. Tout le monde est parti en vacances. Matthieu et Thierry sont en Jamaïque, Christoph est à Berlin dans sa famille allemande, Jonathan en Enfer chez son père, Kévin en Irlande du Nord chez son oncle sorcier, Arthur à Jonzac, Patrick en Bretagne, les frères Lerows à Tombouktou Les Pâquerettes et les Rottens Sisters sont sur Pluton pour planter des raphias. Elles ont conçu une sorte de bunker à l’intérieur des terres où elles ont étalé des végétaux de toutes sortes pour obtenir un oxygène plus ou moins naturel d’après ce qu’elles m’ont affirmé. Et nous, nous sommes à Cylenne Beach, une ville pas vraiment glorifiée par une plage, mais par un ensemble d’individus représentatifs des séries bourgeoises américaines, tel que Malibu Beach. J’évite d’être chez moi à Biclore vu que ma présence empoisonne celle de ma mère, de même pour Marshall. Donc nous sommes là, dans une liberté beaucoup trop absolue qui m’ulcère le lobe frontal, les chemins se multipliant à chaque enjambée… Nous devons nous trouvez une occupation avant de sombrer dans la défaillance neuroleptique ! Heureusement que Marshall est là, sans lui je me serais senti sur le Titanic.
Soudain, nous voyons Hazel. Elle marche sans nous voir, plongée dans un livre. C’est l’occasion ou jamais de décourager Marshall. Le désir n’est qu’une illusion, il faut lui procurer une déception avant qu’il tourne à l’obsession. A l’instant où nos chemins se croisent, je pousse Marshall vers Hazel. Son livre tombe à terre. Marshall s’excuse en bégayant puis me fusille du regard. Elle répond que ce n’est pas grave, il ramasse son livre…
La Bible…
Il lui donne.
Hazel le sourire aux lèvres : « Oh c’est vous ! Vous allez mieux ? Certainement depuis le mois de mai. C’est idiot comme question.
- Non, c’est pas idiot. Content que ma santé vous intéresse.
- Que vous est-il arrivé pour que vous tombiez dans les pommes à ce point ? »
Elle cause trop bien, c’est louche pour une none.
« Je… Ben…je…
- Vous n’aviez pas bu d’alcool, j’espère.
- Non.
- Tant mieux, c’est si dangereux ! »
De quoi je me mêle ? Elle joue les moralisatrices maintenant ?
« Bon, je suis heureuse de vous savoir en bonne forme.
- Merci, tu peux me tutoyer
- Oui. Heureuse de t’avoir revue. Bon, alors, au revoir.
- Au revoir ».
Elle continue son chemin. Marshall la contemple partir.
J’imite la voix d’Hazel : « J’espère que vous ne buvez pas d’alcool, c’est si dangereux! »
Je reprends ma voix : « Elle te boufferait ta liberté si elle acceptait de sortir avec toi !
- Je sais Erman.
- Mais alors pourquoi tu t’obstines !
- Parce qu’elle me plaît !
- Tu es maso.
- Je suis un homme qui a des désirs.
- Oui, mais j’ai peur que tes désirs deviennent des obsessions. Trouves-toi un autre désir !
- Je sais bien Erman mais c’est chimique. Il y a des choses qui ne s’expliquent pas rationnellement !
- Je ne suis pas d’accord avec toi. On peut être dégoûté par n’importe quelle femme. Il suffit de l’imaginer faire un truc qui nous répugne.
- Je n’ai pas envie de l’imaginer faire un truc répugnant. C’est toi qui me répugne là.
- Ce n’est qu’un physique ! Discute avec elle de religion, des êtres humains. Elle va tellement t’énerver que tu ne la désireras plus.
- J’aime qu’elle reste un fantasme.
- Oui mais tu te fais bêtement du mal.
- Ok, je passerais la voir avant de rentrer chez moi. »
Plus tard.
J’écoute Inca Roads, la musique de Zappa dont j’éprouve le plus de prédilection. Le téléphone émet un son dérangeant.
C’est Marshall.
« Tu avais raison, je suis guéri.
- Ah ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
- J’ai d’abord discuté avec elle. Comme y avait pas ses parents, elle a fini par m’inviter chez elle. Elle s’est jetée sur moi. J’ai baisé comme un animal.
- Mais c’est génial ! Elle n’est pas la vertueuse qu’on croyait ! Tu vas pouvoir l’avoir comme petite amie !
- Ouais bof, c’était tellement facile que ça ne m’intéresse plus.
- Et tu veux pas la garder pour la sauter quand tu veux ?
- Non, j’en ai marre d’avoir les filles que je veux quand je veux. J’aimerais bien qu’on me résiste. Je crois que je vais me faire curé.
- Tu utilises l’ironie pour relativiser ta déception ?
- Non. Dans tous les cas de figures, j’aurais été déçu. Le propre du fantasme, c’est de rester du fantasme.
- Oui, mais tu semblais tellement navrant et grotesque face à elle. J’avais vraiment du mal à préserver de la considération pour toi.
- Tu veux me mettre en colère ?
- J’extrapole. Mais, tu étais vraiment inquiétant.
- Bon, bas maintenant, qui va éblouir mes pensées mes nuits d’insomnies ?
- Je suis désolé d’avoir gâcher tes nuits d’insomnies.
- Pour te faire pardonner, serais-tu capable de n’importe quoi ?
- Je ne suis pas ton genre.
- J’essaye de choper la voiture de ma mère demain, et on se fait un camping sauvage n’importe où ?
- Je suis partant pour l’aventure, si on extrait toutes histoires sexuelles composites.
- Tu n’es pas mon genre. »

Mardi 1 août
Les Rottens Sisters reviennent de Plutonville cet après-midi et Christoph réintègre Cylenne Beach demain.
Je suis à Vennasch face à la porte de la demeure de Marshall. Je frappe doucement. Marshall ouvre et me dit de façon très détachée : « J’ai fait un rêve particulièrement étrange cette nuit. J’ai rêvé que Mazarin, le type du XVIIe Siècle, m’annonçait que la robe de Richelieu était noire et rouge.
- Pourquoi il t’a dit ça ?
- J’en ai aucune idée. Tu sais dans quel coin les Rottens Sisters vont atterrir ?
- Non… Même elles ne le savent pas.
- Donc, nous ne savons pas où les attendre. »
Nous entrons dans la chambre de Marshall et nous nous mettons à danser le tango.
15h 30.
Nous tentons de situer les Rottens Sisters avec l’un de leurs talkies-walkies détraqués. Nous parvenons à les intercepter. Elles nous signalent qu’elles sont à Cylenne depuis quinze minutes environ, qu’elles ont posé pieds dans une mansarde de Skin-Head aux Sâtries et qu’un poupon en couche culotte les traque avec une hachette pleine de sang à la main.
Soudain, elles apparaissent, vêtues d’un arrangement en élastomère, dans la chambre de mon ami. Nous balançons le dispositif de communication patriarche dans un feu pourpre.
Elles nous racontent leurs vacances sur Pluton : le problème pour respirer sur la planète, leur nouvelle invention pour y remédier, l’effet secondaire du patchouli, la panne de la machine de téléportation qui les a fait atterrir dans un autre système solaire très insolite, la frénétique polémique entre Talheur et un extra-terrestre, la réconciliation unilatérale, l’atterrissage sur Terre très mouvementé avec le bébé en couche-culotte et la hache ensanglantée… Bref, elles ont passé des vacances nettement plus intéressantes que les nôtres.
Plus tard.
Nous dégustons agréablement des gaufres tartinées de crème de chocolat au lait en regardant le Box of Moon Light de notre Dieu Jon Turturro. Soudain, un joli nourrisson défonce la porte en hurlant: « Ah mort les chattes puantes ! ». Il se lance hargneusement sur les Rottens Sisters la hachette sanguinolente dans sa mignonne menotte. PapiGreta sort un lance-missiles miniature avec gel douche incrusté, qui rend votre peau aussi douce que celle de votre enfant, et lui perce l’œil gauche. Le bébé s’effondre. Mais il se relève quelques secondes plus tard. FleurdeCactus fait jaillir de sa culotte en dentelle rose, une sulfateuse avec venin d’hamadryade annexé dans les cartouches… Mais rien, le bambin se relève et se rapproche. Je hurle. Talheur déloge de son bustier en caoutchouc vermeil, un lance-flammes spécial night-club et le nourrisson se calcine. Il se carbonise peu à peu tout en avançant quand même. Je hurle. Il s’agite, la hachette dans sa main brûlée, vers les Rottens Sisters, qui finissent par disparaître grâce à leur machine de téléportation. Je hurle. Elles nous ont laissé tout seuls avec la progéniture psychopathe. Marshall se transforme en gorille et compresse le bébé dans le mixeur. Il rajoute de la glace à la vanille et l’offre comme milk-shake à Séverine Perrer, la tarée de la télévision qui fait de la gymnastique avec sa tête.

Jeudi 3 août
Christoph est revenu de Berlin hier après-midi et nous sommes chez lui, affalés sur le canapé devant une comédie musicale des années soixante. Nous cherchions une cassette vidéo, nous ne savions quoi mettre, nous avons déniché cette cassette au fond d’une décharge, nous l’avons inséré dans le magnétoscope… A présent, nous avons beaucoup trop la flemme de nous redresser pour la retirer. Ce film est étrange. Il semble plein de joies… Marshall s’est endormi. Christoph reste concentré sur le film.
…
« Christoph, je demande, tu comprends quelque chose ?
- J’suis pas sûr… Mais j’crois que c’est un film pas réaliste du tout. »
Plus tard.
Christoph allume une cigarette. Je louche dessus. J’ai envie de fumer. Cette merveilleuse odeur ! Sois fort Erman ! Tu es poinçonné d’une volonté et d’une force de caractère (inexistantes). Il faut me procurer une raison pour échapper à cet appendice. Oui une raison… Voilà, je me persuade que la cigarette est une invention du gouvernement pour comploter contre la liberté des êtres humains, afin que nous devenions dociles et inférieurs. En effet, comment cette si petite chose, très dispendieuse, peut-elle nous livrer à une telle dépendance ? C’est bien parce qu’un homme malveillant au-dessus de tout cela, cherche par tous les moyens à nous manipuler, pour que nous soyons des prisonniers lamentables du système ! Ainsi, aveuglés par la fumée, nous pouvons devenir ce qu’ils exigent ! Et l’argent qu’on y met sert à construire des armes bactériologiques ! Et en plus cette petite merde pollue la planète ! Oui ! J’en suis à présent convaincu ! Et non messieurs ! Je ne me laisserai pas faire ! Non messieurs, je ne serai jamais votre esclave ! Vous pouvez toujours essayer ! Mais vous n’y arriverez pas ! Car oui ! J’ai découvert votre machination !
Je regarde Marshall. Il louche sur la cigarette de Christoph. Marshall, non ! Ne cède pas ! Nous y arriverons ! Le gouvernement ne nous aura jamais !
Marshall me regarde et me dit : « J’essaye de me trouver une raison.
- Dis-toi que c’est une invention créée par des militaires xénophobes pendant la Guerre Froide, pour lessiver le cerveau humain et faire de nous des esclaves dociles, disciplinés et maniables.
- Tu es paranoïaque. Pour quelles raisons ils nous voudraient comme esclaves, les militaires le sont d’eux-mêmes ?
- Pour gouverner la planète et lutter contre le communisme !
- Erman, à part Prof, plus personne n’est communiste !
- Si, les Cubains !
- Crois-tu qu’un jour, les Cubains aient une influence sur nous ?
- Non, à cause de la dépendance au tabac !
- Sais-tu mon cher Erman, que l’un des endroits les plus important dans la production du tabac est…
- Je sais La Havane, d’accord je retire ce que je viens de dire pour le communisme car c’était débile. Mais je garde cependant ma conviction vis-à-vis du gouvernement qui veut régenter la planète.
- C’est un choix qui se tient. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous ne nous inquiétons pas vraiment à propos de la bouffe transgénique.
- Exactement, alors que nous devrions nous en préoccuper beaucoup plus !
- Sauf que la cigarette a été inventée bien avant la Guerre Froide.
- Je te hais. »
Silence.
…
Je regarde Christoph et lui dis : « Christoph, tu es un esclave.
- Je sais et je m’en fous.
- Tu veux bien me passer une clope ? Je demande.
- Non esclave du système ! »
Plus tard.
Nous sommes tous les trois en train de fumer.
On sonne à la porte.
Christoph se lève et ouvre la porte. Porte. Porte. Porte. Harcèlement de répétitions. Nous restons dans le salon.
Nous entendons la voix d’une petite vieille : « Vous n’auriez pas une seringue ?
- Non, c’est pourquoi faire ?
- Tuer mon époux.
- Pourquoi faire ?
- C’est une longue histoire jeune homme. Je n’ai pas le temps de t’expliquer. Alors, est-ce que t’as une seringue ?
- Bah moi non. Il s’adresse à nous : les mecs, vous avez une seringue ? »
Je me lève. A la porte, non, à l’embrasure de la chaumière, une bonne femme octogénaire avec une robe rouge et un dentier parfaitement ivoirin me sourit puis me demande : « Jeune homme, aurais-tu une seringue ?
- Vous savez, reprend Christoph, il y a d’autre moyen pour tuer votre mari.
- Je sais, mais j’ai toujours voulu lui injecter de la morphine.
- De la morphine ? demande Christoph, vous êtes ridicule !
- Oh ! Mais de quoi je me mêle ? s’énerve la petite dame.
- Mais madame, je commence, pourquoi voulez-vous tuer votre mari ? C’est une solution beaucoup trop dangereuse. Ce serait dommage de finir, le peu de vie qui vous reste, en prison.
- Mais de quoi je me mêle ! Vous avez une seringue oui ou non ?!
- Non madame, je dis, nous ne sommes pas des toxicos ! »
La petite vieille s’en va. Christoph ferme la porte. Nous retournons dans le salon.
Quelques minutes plus tard.
Nous subissons un effroyable tremblotement, comme si nous étions à bord du Nostromo et nous entendons un cri épouvantable provenant du faux escalier de l’arbre de Christoph. Nous nous y précipitons affolés. Nous voyons un barbon tout chauve observer le sol. Nous jetons un coup d’œil et découvrons avec stupeur la vieille folle de tout à l’heure, aplatie sur la terre, une auréole de sang se mêlant avec sa robe rouge. Nous reculons doucement et dévisageons le grand-père.
Silence.
Il tourne délicatement la tête vers nous et nous déclare : « Elle voulait me tuer cette peste ! »
Je ne veux surtout pas m’en mêler. Je ne veux rien savoir et retourne chez Christoph. Je m’assois tranquillement sur le canapé. Marshall entre. Il m’annonce que la police va sûrement arriver, vu que la concierge de la Terre est spectatrice de l’événement. Je m’en moque, je ne suis pas responsable.
Mais voilà que Christoph entre dans la maison avec le criminel…
« Pourquoi il est là ? Je demande.
- Il faut le cacher, on ne va pas le laisser aller en prison à cause d’une folle, répond Christoph.
- Quoi ?! Je ne veux pas être complice de quoi que ce soit !
- T’inquiètes pas Erman, j’ai de bonnes cachettes. Comment crois-tu que je fais pour que vous ne voyez jamais mes parents ?
- Quoi ?! T’as des parents ?! s’exclame Marshall. »
La vache ! Cela fait des années que je connais Christoph et j’ignorais qu’il vivait avec ses parents. Merde, nous venons ici tous les jours ! Ce n’est pas possible que nous les ayons jamais aperçus !
« Le meurtre s’est déroulé en bas de chez toi, Christoph, commence Marshall, les flics fouineront forcément dans toute ta baraque.
- Marshall, je ne veux pas aller en prison pour complicité de meurtre ! je m’exclame.
- Ecoute mon p’tit Erman, je suis vieux. Je ne tiendrai jamais en prison. Il faut m’aider.
- Non non, moi j’appelle les flics, je ne veux pas être complice ! Et d’abord, comment tu connais mon nom ? Y’a rien de crédible dans ce chapitre !
- Erman! me gronde Christoph.
- Alors je m’en vais.
- Tu ne peux pas partir, ce serait trop louche ! me dit Christoph.
- Pourquoi ? je demande.
- Une femme meurt et toi tu te sauves ? Tu seras le suspect numéro un ! ajoute Christoph.
- Mais j’la connaissais même pas ! Et personne me connaît ! Qui dira qu’j’étais là?
- La concierge de la Terre mon vieux !
- Et merde.
- Il faut que je me cache ! s’écrie le vieux.
- Vite ! Dans le placard ! ordonne Christoph. »
Le vieux court vers le placard et s’y enferme.
Soudain, il ressort: « Non je ne peux pas, j’ai des remords !
- Des remords ? Qu’est-ce que c’est que ça des remords ? je demande à Marshall. »
Il hausse les épaules en m’affirmant qu’il ignore. Le petit vieux se met à pleurer. Marshall aborde la légitime défense. Je pense à la prison. Elle est effrayante. Tous ces violeurs, ces tueurs, ces psychotiques ! Si j’étais complice d’un meurtre… Moi ? Petit quidam, me retrouvant sous les douches, le pénis d’un criminel au sourire caustique dans ma fente ? Beurk ! Puis, je pense aussi à ce petit vieux…
« File dans le placard ! J’ordonne. »
Christoph m’examine avec fierté. Nous cachons l’ancien dans la penderie. Marshall nous demande pourquoi nous ne faisons pas appel aux Rottens Sisters. Nous pourrions ainsi terminer ce chapitre beaucoup plus rapidement et achever la fin du film épouvantable.
Nous convoquons les Rottens Sisters. Elles enterrent le corps de la vieille folle dans le jardin de Michel Brucker, font taire la concierge de la Terre en l’expulsant vers Jupiter et envoient le petit vieux aux Seychelles pour qu’il se trouve une meilleure femme.
« Christoph, il est temps que tu nous présentes tes parents »
Il le fait.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, je m’en doutais un peu. Les parents de Christoph sont bien des chimpanzés tyroliens.

Lundi 7 août
Nous sommes au parc de Livoyler, le seul endroit que nous apprécions à Cylenne, tant pour sa beauté verdoyante que pour le silence qui y règne.
Dans l’allée des Séquoias, nous croisons Christian Morlin. Ce bipède post-pubère possède un alligator jovial. Une fois, il l’a emporté au lycée et il a mangé le professeur d’anglais. Une histoire vraiment passionnante qui méritait d’être racontée. C’est d’ailleurs de cette façon que nous avons eu le plaisir de rencontrer Christian, qui possède aussi un hamster géant génétiquement modifié avec de l’ADN d’un dinosaure trouvé dans un moustique fossilisé. Une histoire formidable.
Christian nous implore de l’aide. Un fantôme accapare son logis et il souhaite s’en débarrasser à cause du râle qu’il émet.
Nous filons dans sa demeure. Nous ne percevons pas de fantôme.
« Il est où ton fantôme ? demande Christoph.
- Il est devant vous ! s’écrie Christian. »
Bien entendu nous ne voyons rien. C’est sans doute un fantôme invisible. Mais la logique me dirait que parce qu’il est invisible, il y a en lui du visible, ce qui prouve par son invisibilité suivi ! Et dans ce cas, il n’est pas réellement invisible ! Et c’est peut-être nous qui ne le voyons pas, car notre perception est beaucoup trop limitée ! Nous donnons des étiquettes à chaque chose nécessaire dans notre existence et ne percevons que ce qui pour nos yeux est utile, et comme ce fantôme est inutile, il n’est pas visible pour nous ! Et dans ce cas, le fantôme est bien là où nous l’indique Christian. Et lui le voit parce que sa perception dépasse ses conceptions ! Et alors, si j’enlève le conformisme réaliste de mes conceptions, peut-être vais-je pouvoir percevoir ce fantôme ! Je pense donc alors que… « Arrête Erman ! s’écrie Marshall.
- Quoi ? Tu lis dans les pensées maintenant ! je lui demande.
- Non mais je te connais assez bien pour savoir que ton silence résume tes pensées intensément complexes et intensément rébarbatives !
- Pardon Marshall, mais je suis encore suffisamment libre pour rendre mes pensées comme je le souhaite !
- Fais-le en silence alors!
- C’est exactement ainsi que sont les pensées, silencieuses !
- Pourquoi faut-il toujours que tu aies raison ?
- J’ai un bon maître. »
Reprenons le cour de notre histoire. Christian affirme qu’un fantôme est devant nous. Nous ne le voyons pas.
Soudain, la table de la cuisine, car oui, j’ai oublié de vous informer que nous sommes dans la cuisine, se soulève brusquement au-dessus de nos têtes, et nous entendons une terrifiante voix égale à celle de Danny Filth : « Je suis le fantôme qui claque les portes !
- Quoi ? C’est toi qui as claqué ma porte hier soir ? s’énerve étrangement Christoph.
- Non, ce n’était pas moi. Sans doute un courant d’air.
- Pourquoi claques-tu les portes ? demande Christoph.
- Parce que je suis le fantôme qui claque les portes ! »
C’était d’une évidence insupportable…Trop lourd fardeau pour ce pauvre défunt incapable de choisir sa destiné ! Je lui demande pourquoi il ne transgresse pas son nom pour faire autre chose de son existence. Marshall me félicite pour cette charmante suggestion. Mais le fantôme refuse. Il adore claquer les portes. Christian se met à pleurer. Il ne supporte plus de subir le bruit infernal des portes qui claquent. Jonathan, que j’ajoute dans l’histoire, là, à l’instant même, menace le fantôme de faire intervenir Dan Aykroyd et Bill Muray. Ce qui n’impressionne pas vraiment l’ectoplasme qui s’en amuse éperdument. Je me veux dans l’obligation d’améliorer ma perception afin de voir l’allure du fantôme. Je concentre toutes mes énergies spirituelles. Je veux le voir. Je veux le voir. Je veux le voir… Soudain, un spectre apparaît devant moi. Un étrange spectre qui ressemble à une betterave. Est-ce lui ? Je lui demande : « Tu ressembles à une betterave ? »
Le fantôme hurle de sa toute petite bouche couleur prune et sanglote. Il répond qu’il n’est pas maître de son physique et que c’est un supplice interminable de devoir ressembler à une betterave. Et Christian lui affirme alors, que c’est un supplice interminable de devoir entendre des claquements de portes. Alors Christian et le fantôme se serrent la main et deviennent amis.

LE PETIT CHAPERON ROUGE, NOUVELLE GENERATION
Mercredi 9 août
Christoph, Marshall et moi, nous promenons joyeusement au parc de Livoyler, balançant joyeusement notre panier d’osier et cueillant à chaque allée, une poignée de pâquerettes. Le ciel est bleu ! Les oiseaux chantent ! L’air sent bon la lavande ! L’herbe est verdoyante! Que c’est beau !
Soudain, nous croisons un homme particulièrement étrange, avec de longs cheveux bruns et un long manteau en cuir, un peu comme Lorenzo Lama : « Bonjour, je suis chasseur de prime. Je recherche cet homme. »
Il nous montre une photo de Hitler.
Ce servile individu rébarbatif doit être détraqué. Ne tentons rien de trop désagréable qui pourrait le contrarier : « Sans vouloir pinailler vieux, répond Christoph, il est mort à Berlin en 1945.
- Quoi ?! » S’exclame le chasseur de prime en s’asseyant solitairement sur une pierre.
« Il est mort en 1945 ? Qui a volé ma prime ?
- Sans vouloir te rembrunir vieux, il s’est suicidé, ajoute Christoph. »
Silence.
Le chasseur de prime allume une cigarette en nous fixant les uns après les autres. Nous sourions sottement comme des gosses innocents.
Et il nous dit d’un air qui me déplaît fortement : « Où allez-vous mes petits ?
- Chez ma grand-mère, répond naïvement la bête crédule qui sommeille rarement en Christoph.
- Et où vit-elle votre grand-mère ?
- A la Merdville, de l’autre côté du bois, chez les gros sales bourgeois de Cylenne.
- Et pourquoi y allez-vous mes petits ?
- Car elle est très malade, et nous lui apportons des gâteaux fourrés à la naphtaline.
- A la quoi ?! Non mais ça va pas dans vot’tête ? » Il s’en va.
Nous allons chez la grand-mère de Christoph.
Nous frappons à la porte.
« Qui est là ? »
Nous sursautons. Sa voix ressemble étrangement à celle d’un camionneur buveur de Jack Daniels.
« C’est votre petit-fils, Christoph.
- Le sauveur de Marie-Jeanne ?
- Oui, je vous apporte vos galettes bretonnes fourrées à la naphtaline.
- Tire la chevillette, la bobinette cherra. »
Christoph tire la chevillette invisible et la porte s’ouvre. Nous pénétrons dans une demeure fort luxueuse. La grand-mère de Christoph est dans son lit, allongée sous des grosses couvertures de laine rouge.
« Mets les galettes sur la huche et viens te coucher avec moi. »
Christoph et Marshall se déshabillent et vont se mettre dans le lit. Je m’inquiète. Je savais que mes amis étaient bizarres mais ils viennent de dépasser le stade de ma tolérance.
Christoph en regardant sa grand-mère lui dit : « Grand-mère, que vous avez de grands bras !
- C’est pour mieux t’embrasser mon petit.
- Et moi aussi ? demande Marshall.
- Oui, toi aussi mon petit Marshall. »
Silence.
« Grand-mère, continue Christoph, que vous avez de grandes jambes !
- C’est pour mieux courir mon enfant. Erman, pourquoi ne te joins-tu pas dans le lit avec nous?
- Parce que c’est trash. Je ne sais même pas pourquoi je reste planter là à écouter ces conneries surréalistes.
- Et que vous avez de grandes oreilles ! s’exclame innocemment Christoph.
- C’est pour mieux écouter mon enfant.
- Vous écoutez Iggy Pop ? demande fièrement Marshall.
- Grand-mère, que vous avez de grands yeux !
- C’est pour mieux te voir mon enfant. Erman, viens avec nous mon petit chou.
- Non, crève chienne !
- Grand-mère, que vous avez de grandes dents ! continue Christoph.
- C’est pour mieux te manger ! »
Et en disant ses mots, le méchant loup se jette sur Christoph et le mange.
MORALITE
Il ne faut pas fourrer de la naphtaline dans les gâteaux, ce n’est pas bien pour le cerveau.

Samedi 2 septembre
C’est bientôt la rentrée.
C’est horrible la rentrée.
Hier, je suis allé au cimetière du Père Lachaise avec Marshall et les frères Lerows qui sont revenus de vacances. C’était assez sympathique, le joli temps se présentait de tout son meilleur jour. Nous avons mis des roses rouges trop vives sur la tombe de Jim Morrison. Benjamin y a déposé un poème qu’il a écrit en écoutant The End. Ensuite, nous sommes allés mettre d’autres roses rouges trop vives sur la tombe d’Oscar Wilde.
Aujourd’hui, nous allons tous, Benjamin, Arnold, Christoph, Marshall et moi, chercher Patrick en Bretagne au fin fond des ruines méconnus de nous. Nous avons un peu volé la voiture de Kévin, qui est revenu d’Irlande la semaine dernière, pour rejoindre notre cher compagnon de lycée près des menhirs et d’autres beautés méconnues de nous.
Nous sommes dans la voiture. Nous avons mis Sonic Youth très fort. Information capitale pour les amateurs de Sonic Youth.
Soudain, au loin, nous apercevons un auto-stoppeur. Christoph, qui conduit, veut que nous le prenions. J’affirme que ce n’est pas une idée ingénieuse. On ne le connaît pas, c’est peut-être un psychopathe mangeur de foie humain comme Eugène Victor Tooms. Benjamin annonce avec intelligence, que nous ne trouverons jamais une place pour lui, que nous sommes déjà assez serrés. Mais Christoph insiste, bonté d’âme… ou d’âne. Arnold hurle qu’il ne veut pas qu’un type inconnu lui bouffe son foie. Christoph le rassure, il ne faut pas juger un homme sur ce qu’il écoute. Je hurle aussi, je pense à John Ryder de Hitcher ! Ah! Mes cris sont suivis par le cri d’Arnold qui soupçonne un vol de cannabis si on l’emmène dans la caisse. Finalement, Christoph refuse que nous le prenions avec nous. Il ne veut pas qu’on lui chaparde ses herbes. Nous passons devant en le fixant d’un air furieux, Benjamin ouvre la fenêtre et l'injure: « Sale voleur de Cannabis ! » De toute façon, la voiture est beaucoup trop petite pour un sixième passager. Et depuis Alien, nous savons tous que l’occupant inconnu possède un appétit excessif. Et plus je nous observe, et plus je constate qu’il n’aurait même pas pu intégrer la voiture. Surtout avec Arnold et Benjamin qui occupent à eux deux quatre places. Je plains Marshall qui est assis derrière avec eux. D’ailleurs, il est sûrement déjà très en colère vu qu’il est transformé en gorille poilu depuis une heure. Avec tout ce poids, je comprends que nous n’ayons pas dépassé les quatre-vingt à l’heure. Nous sommes beaucoup trop lourds. Les roues vont péter. Je me demande comment nous allons procéder lorsque nous aurons récupéré Patrick.
Plus tard.
Marshall réclame le volant à Christoph. Il étouffe avec les frères Lerows. Mais Christoph refuse. Finalement, Marshall se recroqueville dans le coffre.
Plus tard.
Premier arrêt miction. Benjamin et Arnold vont uriner et acheter des barres de chocolat dans la station autoroute. Marshall et moi courrons autour de la voiture. Il ressemble peu à peu à un humain. Christoph fume des herbes de Provence allongé sur une place de parking. Marshall espère qu’un camion lui écrase les jambes. Benjamin et Arnold reviennent. Nous leur confions la voiture et allons uriner. Là-bas, nous rencontrons une blonde avec de la peinture sur le visage et un manteau de fourrure. Elle nous éjecte un laïus incompréhensible sur les petits enfants qui meurent de faim au Guatemala. Au bout de dix minutes, j’interromps son long monologue, assurément émouvant mais un peu inopportun :
« Pardonnez-moi mademoiselle, combien coûte votre manteau ?
- Ecoutez, j’ai quand même le droit d’avoir un peu de plaisirs…
- De plaisirs ? Vous me parlez bien de petits enfants qui meurent de faim ? Vous portez ce que vous avez froidement massacré à mains nues ? Désolé, nous n’avons pas le temps d’écouter…
- Pas le temps ! se fâche la demoiselle.
- Ecoute salope, coupe Marshall, la moitié de ce que tu gagnes pourrais m’aider à ne pas bouffer des pâtes tous les jours, alors si tu crois que j’ai les moyens d’aider les petits enfants du Guatemala, tu te plantes. Moi ce que je remarque, c’est que c’est encore les riches qui demandent de l’argent aux pauvres pour aider les pauvres. Tu serais bien bandante si tu fermais un peu ta gueule peinturlurée. Au lieu de me faire un putain de discours d’écervelé, t’as qu’à y aller au Guatemala et offre-leur ta belle fourrure, et offre-leur ta bouffe de tous les jours jusqu’à que tu crèves la dalle ! Je profite pleinement de l’argent que ma mère gagne durement par la sueur de son front, et pour rien au monde je me sacrifierai pour le Guatemala, c’est pas à moi de le faire ! C’est à vous, bourgeois ! Vous et tous vos aristocrates!
- Tu as battu ton record de paroles Marshall, c’est peut-être un manteau qu’elle a volé, j’annonce passivement.
- Si tu me suces, j’accepte de te donner une pièce.
- Je connaissais un type qui clamait à tout le monde qui voulait travailler dans l’humanitaire. Or il n’était pas altruiste pour deux sous. Il négligeait le service clientèle et ne respectait pas le travail que fournissait ses collègues, je continue d’un ton indifférent.
- Pourquoi tu me racontes ça Erman ? T'es complètement hors sujet. »
Elle se met à pleurer.
On va pisser.
Plus tard.
Marshall conduit. Je suis à l’arrière. Christoph est à côté de Marshall. Nous avons réussi, tant bien que mal, à tasser les frères Lerows dans le coffre. Ils chantaient Libertine de Mylène Farmer, c’était insupportable.
Une insulte musicale.
Une pollution auditive.
Nous étions à l’agonie.
Nous recroisons un auto-stoppeur. Mais cette fois-ci, nous le connaissons. Il s’appelle Peter Tolescu. C’est un spécimen rare connu au collège. Il veut devenir prêtre. Il est complètement marteau. Marshall freine d’un seul coup. J’ouvre ma fenêtre. Je lui demande ce qu’il fait ici. Il répond qu’il attend une voiture que Dieu doit lui apporter. Je lui avoue que nous ne pouvons pas le prendre parce que Marshall le déteste. Il répond que ce n’est pas grave, que de toute façon, c’est une voiture vide que Dieu doit lui apporter. Peter est fou je crois. Une fois, il attendait sous la pluie que Dieu restitue le soleil. Quatre jours plus tard, la pluie a cessé et Peter a assuré sa correspondance avec Dieu.
Nous continuons notre route.
Plus tard.
Nous sommes à Quimper. Nous en profitons pour visiter quelques musées, faire quelques photos de nos culs pour une œuvre de charité inexistante (peut-être pour cette bonne femme peinturée en manteau de fourrure). Nous rejoignons Patrick devant la maison de sa tante qui a de la moustache et des broderies partout sur les meubles, et nous repartons.
Patrick a changé la monture de ses lunettes. Elle est jaune tachetée de noire comme un léopard. Benjamin conduit et Patrick est à côté de lui. Christoph, Marshall et moi sommes à l’arrière. Arnold est attaché sur le toit, il nous gonflait profondément avec ses histoires de protubérances.

MONOLOGUE SUR LES EXCROISSANCES OSSEUSES DES VERTEBRES
Mardi 5 septembre
C’est la rentrée. Je hais la rentrée. Je m’apprête à revoir joyeusement tous les fendus nauséeux de Cylenne. Le seul mérite qu’ils ont de vivre sur cette planète, c’est la justification de l’expression : « Il faut de tout pour faire un monde. » Cylenne, c’est une mixtion de batavias discourtoises superficiellement savoureuses.
Je hais la rentrée. La rentrée fait partie des sept choses les plus exécrables sur la planète : avoir faim, la rentrée, un vol de CDs, le viol, la maladie, rater un bon concert, la mort d’un proche.
Je hais la rentrée. Rien n’est positif dans La rentrée. La rentrée, c’est revoir en une seule journée les répulsions qui composent le lycée : les adolescents débiles ( pléonasme), les professeurs qui nous détestent, les dames de la cantine, l’emploi du temps, l’odeur. Une odeur désagréable, froide et conformiste. Une odeur de consortium qui nous évoque sans cesse que nous devons nous soumettre à la société. Une odeur oppressive qui nous conditionne à fermer nos gueules. Une odeur qui suggère un doigt géant me condamnant pour mes égarements. L’odeur de la civilisation, de la société, accentuée par ces nombreuses pendules qui exhibent les heures. Nous sommes soumis au temps, c’est notre gouverneur. Nous n’avons plus le temps à perdre pour glander. Il faut se dépêcher de réussir à obtenir sa place. La rentrée est une sélection d’individus : ceux qui parviendront à se soumettre au système et les autres, qui vagabonderont sur les trottoirs encrassés à quémander un verre de Pinard.
Je hais la rentrée. Les gens sont bronzés et ont perdu toute notion intellectuelle. Les filles s’embrassent hypocritement en arborant les sous-vêtements qu’elles ont enlevé pour forniquer avec des hommes dont elles ne se souviennent plus du nom. Les garçons s’échangent les photos des corps de filles baisables dont ils ne se souviennent plus du visage.
Comme prévu, après de multiples redoublements, je suis enfin en première Littéraire. Heureusement, je constate que la présence de Pétasses de la Merdville est assez limitée. Benjamin et Patrick sont en première STT, Marshall et Christoph en première ES, Arnold est en terminale STT ( on espère qu’il aura enfin son BAC cette année), Kévin est en terminale L, Arthur est en Terminale ES et enfin, par chance (ou plutôt grâce à ses pouvoirs), Jonathan n’est pas là, il a eu son BAC, il fait un Deug Histoire de l’art et archéologie à partir du mois d’octobre.
La nouvelle loi nous interdit à présent de fumer dans l’établissement. Pour fumer, nous devons sortir du lycée. N’est-ce pas merveilleux ? Un lycée vide d’adolescents ennuyeux ?
Pendant la récré, j’ai aperçu Kévin sangloter au foyer des élèves. Les crânes informes de sa classe lui ont demandé s’il était satanique et s’il se promenait dans les cimetières pour se masturber sur des sépultures. Ce tourment dure depuis trop d’année. Cette catégorie d’hominidés écervelés et intransigeants sont des clones et sont formés pour persécuter ceux qui ne viennent pas du même laboratoire expérimental. Chaque rentrée, Kévin y a droit. Chaque rentrée, on tente de le rassurer en affirmant que les gens en vieillissant deviennent plus tolérants, et que l’année prochaine sera meilleure. Mais non, les gens n’évoluent pas. Ils jugent. Ils jugent sans cesse. Ils se considèrent comme élu social parce qu’ils s’apparentent à tout le monde, parce qu’ils se fondent dans la masse.
Comme chaque rentrée depuis que je le connais, je tente de le rassurer. C’est d’ailleurs ainsi que nous sommes devenus amis.
Nous étions en 1500 avant Jésus-Christ, Kévin était assis devant le professeur principal. Il avait déjà des cheveux longs. C’est également cette année-là, que je laissais les miens pousser par pure contradiction avec les goûts de ma mère. Je ne faisais pas attention à Kévin, j’étais surtout contrarié de ne pas avoir Marshall, Christoph et Patrick dans ma classe. Par contre, j’avais Steve Fisher et Dylan Duburque, deux sous-produits de la décadence conformiste, des horreurs bourgeoises labourés du lobe frontal, nés pour nous exclure. Sans ces individus tortueux, nous ne serions jamais devenus des parias. Mais ils existent… Steve, ne s’est jamais souvenu de mon prénom et prenait un malin plaisir à me ridiculiser devant Maria Félix, une pure merveille du sexe féminin, et comme vous l’avez lu dans les chapitres précédents, il ne se souvient même pas de ma gueule. Il n’a jamais été violent avec moi. Il a été conçu uniquement dans le but de me rabaisser, me détraquer le moral, me réduire à un minable cafard. Dylan, un scooter man avec un quotient intellectuel de moustique pernicieux, passait son temps à m’octroyer des coups de poing un peu partout, à m’enfermer dans des pièces pour m’humilier et pour me faire pleurer. Une fois, il m’a barricadé dans les vestiaires des filles, j’ai larmoyé comme une fillette. Et tout le monde riait derrière la porte. Une année horrible qui résume à peine le quart du quart des atrocités de mon adolescence. Aujourd’hui, je suis presque respecté au lycée, parce que je suis l’ami de Marshall Fisher, qui a physiquement beaucoup évolué, de Jonathan Maquel, un bourgeois Cylennois, de Christoph Klaüs, qui s’est attiré beaucoup de sympathies en grandissant et parce que je suis sorti avec pas mal de filles, même les plus détestables (j’aime baiser). Elles, qui sortaient avec moi, uniquement pour s’approcher du mystérieux Marshall et du plaisant Christoph. Bien entendu, je ne suis pas connu par moi-même, mais par mes fréquentations. Je suis bien trop méprisé par cette population conformiste pour parvenir à un minimum de notoriété. Bref, pour revenir à la rentrée de cinquième, Kévin était donc assis en face de notre professeur, il avait de longs cheveux noir ébène, il était vêtu de noir et détestant le soleil, il n’avait pas bronzé et laissait donc apparaître une couleur de peau cadavérique. Les adolescents stupides de cette classe n’ont pas manqué de l’appeler Dracula. Ce qui serait plutôt un compliment, si nous vivions dans un monde moins irascible. A la sortie de ce premier jour, les charmants bourreaux de l’univers carcéral pour adolescents singuliers, n’ont pas perdu de temps pour lui casser la figure, et le surnom de Satan lui a été attribué… Difficile, en fait, de discerner les individus sataniques entre ses blondinets moqueurs et belliqueux du Village des Damnés et ce grand bonhomme maigre et fragile. J’étais là, à la sortie. A la fuite des bourreaux, j’ai aidé Kévin à se relever. Il pleurait. J’ai tenté par tous mes moyens de le réconcilier avec lui-même, parce qu’évidemment, ce genre d’évènements ne font qu’amplifier les complexes et le manque profond de confiance en soi. Et j’ai découvert un mec vraiment gentil, un peu trop plaintif car même quand tout allait bien, il fallait qu’il trouve un truc pour geindre, mais c’est un mec vraiment gentil.
Et rien à changer. Il a beau être en Terminale, les hommes sont toujours d’ignobles jugeurs… Cependant, j’ai la conviction, tout au fond de moi, qu’un jour, nous serons acceptés et même appréciés pour ce que nous sommes et ce que nous disons.

QUESTION PROBATOIRE SUR LA QUETE DU BONHEUR
Vendredi 22 septembre
J’ai rêvé cette nuit, qu’un groupe d’adolescents hargneux avec du gel dans les cheveux essayait de me carboniser sur un bûcher en me qualifiant de sorcier.
Je suis au lycée. Je rejoins Marshall près des casiers jaunes. Je lui narre mon cauchemar. Il me révèle que dans la réalité, les adolescents sont justement en train de nous lyncher mais lentement, efficacement et sans preuves matérielles. Pas très rassurant tout ça.
Sonnerie.
Pavlovisme pur : je me dirige automatiquement vers ma salle comme un zombie lobotomisé. M’aurait-on retiré pendant la nuit, la partie qui éclaire mes choix d’existence, afin de contrôler mes déplacements et de me surveiller ? Ce système de conditionnement soi-disant éducatif me fournit des ulcères.
Dans le couloir, je rencontre une grosse fleur blanche avec des lunettes de soleil. Comment a-t-elle pu atterrir dans cet endroit endoctriné par la perversion formatrice?
Elle me supplie : « Aide-moi, aide-moi.
- Mais qu’est-ce que tu fais ici?
- Je ne sais pas. Je ne me souviens plus de rien. Hier soir, j’étais dans un bar avec un ami et puis je ne me souviens plus du reste. Je ne sais pas comment rentrer chez moi.
- Tu as trop bu.
- Oui, me répond-elle gênée.
- Bon, où vis-tu ?
- Au Groenland.
- Au Groenland ! Je hurle.
- Désolez, et elle se met à pleurer.
- La vache! Le Groenland c’est pas la porte à côté ! Comment veux-tu que je te ramène chez toi ? Et t’as bu combien de verre pour en arriver là ? C’est bon, arrête de pleurer, je vais essayer de trouver un moyen. Mais il faut que je trouve les Rottens Sisters. »
Objectif : les Rottens Sisters. Encore faudrait-il savoir où elles se situent actuellement. Je prends la fleur dans ma main droite et me dirige vers la sortie. Je croise Arnold : « Salut vieux. Qu’est-ce que tu fais avec une fleur dans la main ? Tu sors avec une fille ? Tu vas l’offrir à une fille ? C’est pour ta maman ? C’est pour une prof ? T’as déjà vu le film d’hier soir sur…
- Arnold, où sont les Rottens Sisters ?
- Moi normalement je peux pas t’aider, je les connais pas très bien. Mais n’empêche que l’autre jour, en fait c’était hier, alors que j’allais…
- Abrège !
- Je crois qu’elles sont à un séminaire sur les neutrons jupitériens à Shenyang. Pourquoi ?
- Cette fleur vient du Groenland et elle veut retourner chez elle.
- Alors là tu vois, t’as de la chance d’être tombé sur moi, car moi, l’autre jour, alors que j’allais…
- Abrège !
- Faut aller voir le Grand Gourou qui vit dans les chiottes de Carrefour Millabé. »
Alors nous y allions. A pieds. Nous sommes très courageux.
Oh oui très courageux ! Surtout pour grimper cette interminable montée ! Surtout moi, parce que je suis accompagné d’Arnold : « Tu crois que si Alicia refuse de sortir avec moi c’est parce que je suis trop petit ? Ou parce que je suis trop gros ? Ou à cause des deux? Je sais que je n’ai pas un physique de beau gosse, mais j’ai des choses à offrir ! Erman, Claudine Dupontois m’a dit que je ressemblais à Danny De Vito…
- C’est plutôt un compliment.
- J’crois pas qu’elle disait cela par compliment.
- Arnold, tu deviens intelligent, qu’est-ce que tu lis en ce moment ?
- Je crois que c’est plus ma taille qui la dérange. Je suis tellement petit…
- Arnold, elle refuse peut-être de sortir avec toi parce qu’elle sort déjà avec un mec.
- C’est pas bête. C’est certainement ça. Mais, si j’étais plus beau, elle aurait forcément plaqué son mec pour moi. Mais je suis gros et petit comme Danny De Vito. Et puis admettons, qu’elle ne soit pas avec ce type, qui a un nom pitoyable scientifiquement parlant…
- Scientifiquement parlant. Je murmure.
- …un nom particulièrement repoussant, moi j’ai un nom sympa, Lerows. C’est pas joli ? Donc admettons qu’elle soit célibataire et qu’elle refuse de sortir avec moi, tu penses que ce serait plus à cause de ma taille ou de mon poids ? Je suis gros, je lui accorde tout à fait, et ma taille est profondément naze ! Mais c’est pas ma faute ! Si je …
- La ferme ! hurle la fleur. »
Nous arrivons à Carrefour et cherchons le Grand Gourou.
En entrant dans les toilettes, nous rencontrons Matthieu et Thierry, les Rois du Bedo.
« Les gars, qu’est-ce que vous faîtes là ? je demande.
- On cherche le Grand Gourou, répond Matthieu.
- Nous aussi ! Et vous, c’est pourquoi faire ?
- Nous venons de créer une nouvelle drogue fabriquée à base de racine d’arbres Neptuniens et nous avons besoin du Grand Gourou pour la peaufiner.
- Y’as des arbres sur Neptune ?!
- Non pourquoi ? répondent Mathieu et Thierry en chœur.
- Ok, laissez tomber ma question.
- Et toi ? demande Thierry, enfin et vous ? Excuse-moi Arnold mais je ne remarque jamais ta présence.
- Ce n’est pas grave, assure Arnold.
- Nous voulons envoyer cette fleur au Groenland.
- Salut les mecs ! s’écrie la fleur. »
Après que le Grand Gourou, qui est un grand noir avec une robe jaune et rouge, en ait terminé avec le souhait de Thierry et Mathieu, c’est notre tour. J’ordonne à Arnold d’aller acheter des bonbons acidulés pendant que je m’entretiens seul avec le Grand Gourou.
Je demande au Grand Gourou si j’ai l’autorisation de formuler deux vœux. Il me répond une négation. Alors, tout en m’excusant auprès de la fleur avinée, je la jette dans les chiottes et tire la chasse. Puis je dis : « Voici mon vœu Grand Gourou, je souhaite que mon ami Arnold, que vous avez vu tout à l’heure, se trouve une mignonne petite copine qui l’aime pour ce qu’il est. Mais pas trop canon, je ne veux pas être jaloux. Mais une fille bien pour lui, et qui soit quand même jolie.
- C’est la première fois de ma vie que je vois un type faire un vœu pour un autre.
- C’est interdit ?
- Non, c’est étonnant c’est tout. Pour la peine, je t’accorde un second vœux.
- Merde, je viens de tuer mon second vœux ! Vous pouvez faire revivre la fleur que je viens de jeter dans les chiottes et l’envoyer au Groenland ?
- Ah non, désolez mais je ne peux pas ressusciter les morts. C’est un truc que je ne sais pas faire. Mais toi, y’a pas un vœu que tu voudrais pour toi ?
- Non. Ah si ! Je voudrais que ma mère se trouve un type bien et qu’elle soit heureuse avec lui.
- C’est toujours pas un vœu pour toi. Mais je t’accorde ce vœu aussi. »
Plus tard.
Je suis chez moi, scrutant une série inextricable sur la deuxième chaîne, uniquement pour me lessiver les méninges de toute ma culture déjà inexistante. Ma mère est étrange et souriante ce soir. Elle s’est changée. Elle porte une robe bleu turquoise qu’elle n’a pas porté depuis des siècles. Elle se coiffe. Au moment, où elle se maquille, je me lève et la regarde à travers le miroir. Elle est belle. Elle m’aperçoit quelques secondes plus tard et me dit : « Je sors ce soir, j’espère que ça ne t’ennuie pas…»

Mercredi 21 novembre
Je me réveille avec Gimme Danger de Iggy Pop. J’ai fait un rêve très biscornu. Je me promenais avec Kévin, dans un grand royaume peuplé d’habitants vêtus à la Hercule (la progéniture chevronnée de Zeus). Tout le monde se frappait avec des épées et se protégeait de boucliers laids. Nous traversions ces batailles dans la plus grande insensibilité. A un moment précis du rêve, un chevalier avec une interminable cape ébène et aux longs cheveux noirs, attrape un pauvre écuyer, que nous appellerons Petit, par le col. Petit paniqué demande en criant : « Qui es-tu toi ? », et le gabarit à la cape noire lui répond : « Je suis Peter Steele ». Kévin trébuche dans des boulets et moi je me réveille.
Plus tard.
Je suis au lycée. Depuis qu’il est interdit de fumer, le lycée est encore plus vide que les gradins du concert des Pink Floyd sur les ruines de Pompéi. C’est excellent lorsqu’on abhorre la population Cylennoise. Nous disposons de la cour de récré pour nous tout seul. Nous avons re-décidé de paralyser nos obsessions fumeuses. Nos chers confrères ont éprouvé la nécessité éphémère de nous joindre dans cette dure épreuve. Mais c’est incontestablement trop dur de se contenir de fumer. Je ne suis pas sûr de résister longtemps mais j’essaie.
Alors que nous sommes paisiblement installés sur un banc, mangeant des chips crèmes et oignons, les Rottens Sisters apparaissent et nous annoncent la tragique nouvelle : Denver fait une dépression.
Vite, aux Zacacias.
Tout le monde se trouve dans l’arbre de Christoph : Christoph, Benjamin, Arnold, Kévin, Jonathan, Arthur, Patrick, les Rottens Sisters, Jean Pierre Dérouard, Seigneur Tatouf, Mathieu le Roi des Coquelicots, Julien l’ancien botaniste, L’Homme Bouclette, Harry Houdini ressuscité, monsieur Choucroute, Embeth Kroon, Sébastien Chevreuille, Joe Denouca, Robin des Bois, le Pervers, l’exhibitionniste des Eaux de la Vane, Babe, Sylvestre le chat, le démon Pazuzu, Camille Vercingetorex, la femme à barbapapa, Tod Browning mort-vivant, Sam Raimi, Bruce Campbell, le dealer du banc des Zacacias, le sosie éthique de John Waters, The Flattened Courgettes, Marshall et moi. Chacun d’entre nous entreprend aux mieux de le réconforter, de lui redonner un sourire ravageur. Mais rien n’y fait, il veut se suicider avec une girafe en caoutchouc. Il est malencontreusement tombé sur le dessin animé Denver, Le dernier Dinosaure et il s’est rendu compte avec beaucoup de peine, qu’il était lui aussi, le dernier dinosaure. Alors il est triste. Comme il ne savait pas qu’il était le dernier dinosaure, il espérait rencontrer un jour une belle femelle bandante. Et aujourd’hui, il n’a plus d’espoir, et il veut mourir. Il veut une petite amie. Nous faisons appelle aux Rottens Sisters. Elles ramènent, une belle femelle de sa race. Nous l’avons surnommé Docile. Ils n’arrêtent pas de baiser et nous de filmer.

Mardi 7 février
Je suis installé sur un banc du lycée. Marshall est assis à côté de moi. Il mange une sucette au citron en lisant Généalogie de la Morale de Nietzsche. C’est la troisième fois en deux ans qu’il lit cet ouvrage. Il faut que je lui prouve l’existence d’autres livres dans le monde.
Je lui dis.
Il retire délicatement sa sucette de sa bouche et tourne la tête vers moi : « Aucun bouquin au monde ne mérite d’être lu comme je lis Généalogie de la Morale de Nietzsche, comprends-tu ?
- Lis L’Antéchrist pour me faire plaisir.
- Non.
- Le Crépuscule des idoles ?
- Non.
- Humain, trop humain ?
- Non.
- Ok, si c’est comme ça que tu l’prends ! »
Marshall est fou.
Toutes nos fréquentations azimutées, aussi incroyable que cela puisse paraître, ne fument pas et viennent à notre rencontre.
« Voilà Arnold, à présent nous sommes tous réunis. Dis-nous ce qui te tracasse, dit Christoph.
- Ok les mecs. J’ai un truc très important à vous dire. C’est très sérieux et je sais pas comment vous le dire. Il faut du courage pour entendre ce que je vais vous annoncer. Vous êtes près et attentifs ?
- Nous sommes attentifs. Parle Arnold.
- Hier soir, en regardant E=M6, j’ai appris un truc terrible. Tenez bon… Voilà, dans cinq milliards d’années, la Terre va exploser, et nous allons tous mourir. »
Lorsque je vous certifie qu’Arnold souffre d’une anémie cervicale aiguë, ce n’est vraiment pas une invention de ma part. Les individus dénués de cellules grises, comme Arnold par exemple, ne devraient pas regarder des émissions aussi intelligentes. Parce que cela ne les rend pas plus doués. Même la plus brillante maïeutique socratique ne les aideraient pas à accoucher à un minimum de savoir intellectuel.
« Arnold, commence très calmement Christoph, tu m’as dérangé pendant que je fumais mon bedo pour m’annoncer cette nouvelle ?
- Mais voyons Christoph ! C’est grave ! Tu ne tiens pas à la vie ? demande naïvement Arnold.
- Bordel ! s’écrie Patrick.
- CRETIN ! hurle Christoph, dans cent ans on sera déjà tous morts ! Alors qu’est-ce que tu veux qu’on foute ici dans cinq milliards d’années imbécile !
- Ah, ouais ! J’avais pas réfléchi. Mais au sujet du réchauffement de la planète ?
- Quoi ? Cela va me tuer ? demande Christoph.
- Bordel ! s’écrie Patrick, je dois arrêter de fumer ! Imagine que…
- On sera tous morts d’une guerre civile avant même que je fasse pousser des bananiers dans mon jardin, déclare Christoph avec fatalité, alors laissez-moi fumer en paix. »
Parfois, je voudrais être atrophié d’un tympan comme Marshall. Lorsque le monde lui devient trop insupportable, et c’est souvent le cas, Marshall se bouche l’oreille droite et il somnole. Il s’est rendu sourd de l’oreille gauche lors de notre premier concert. Pour lui, c’est une véritable aubaine parce qu’il n’entend que la moitié des palabres émétiques humaines. S’il n’aimait pas autant la musique, je pense qu’il se serait explosé l’autre tympan.
Soudain, traversant la cour de récré, les cheveux cramoisis dans la brise, j’aperçois une sublime déesse que je n’avais jamais vu ici auparavant. Elle porte un blouson de cuir, un jean déchiré, des bottes noires… Sa démarche est très sensuelle, particulièrement envoûtante… Un éperon en métal vient de pénétrer brutalement mon cœur de topinambour. J’ai envie de faire l’amour.
« Qui c’est ? demande Christoph.
- Je l’ai vu avant toi ! je m’écrie.
- Et alors ?
- Christoph, tu te tapes toutes les filles que tu veux ! Laisse-moi cette fille.
- Toi aussi tu te tapes qui tu veux !
- Oui, mais moi je suis timide. ( Patrick rit).
- Mon cul t’es timide ! Si t’arrives pas à te la faire dans deux jours, c’est chacun pour soi mon vieux ! s’exclame Christoph.
- T’es pas un ami !
- Les deux jours que je te donne te prouve mon amitié. Bon, Arnold, est-ce que je peux retourner fumer mon bedo ou est-ce que t’as encore un truc débile à dire ?
- Non, je vois vraiment pas ce que je pourrais dire d’autre. J’ai épuisé mon stock d’information inutile. Je demanderais à maman de ne pas me réincarner. Ah si, selon les Mayas, les extraterrestres reviennent le 21 décembre 2012 pour trucider les méchants reptiles qui gouvernent la Terre.
- Crétin ! Hurle Christoph.
- Bordel ! Et le réchauffement de la planète alors ? Tout le monde s’en branle ? Merde j’ai jeté mon mégot tout à l’heure ! Oh ! Bordel ! Votons les Verts ! Votons les Verts ! hurle Patrick en agitant les bras comme une marionnette et en courant vers la sortie. »
Comment peut-on être aussi gracieuse ? Elle franchit le couloir des BEP, je rentre dans l’établissement…
J’observe l’éblouissante princesse. Elle est délicieusement appuyée contre un mur devant les salles informatiques. Elle est magnifique. Ses cheveux sont magnifiques. Son corps est magnifique, bandant pour être plus explicite.
Je m’approche d’elle.
« Salut, je dis ».
Elle tourne violemment ses yeux brun cacao vers mon visage. Cette fraction de seconde suffit pour que son regard transperce le mien et me brûle l’intérieur de la cervelle. Je viens de perdre ma voix. Je ne sais vraiment pas où la chercher. Ma voix se perd rarement, je lui ai appris chaque parcours à adopter en cas de séparation. Mais là, impossible de la retrouver. Peut-être me l’a-t-on volé.
« Salut, répond-elle. »
Mon Dieu! Sa voix aussi est magnifique ! C’est un croisement entre la voix de PJ Harvey et de Kristin Hersh. Une voix angélique provenant du fin fond des entrailles de l’Enfer (Antithèse). Magnifique. Sublime. Je n’arrive pas à retrouver ma voix. Je suis achevé.
« Excuse-moi, mais je t’ai pris ta voix, pour rire. J’espère que tu ne m’en veux pas. »
Elle me vomit ma voix.
« Non, je ne t’en veux pas. »
J’ai de la sueur qui dégouline le long de mon torse. Je ne sais pas quoi lui dire. Je suis pitoyable. Je respire un grand coup et lui dis une grosse niaiserie: « T’es nouvelle ?
- Oui, cela fait deux jours que je traîne dans ce lycée.
- Oh. »
Le « Oh » le plus lamentable du monde. Un « Oh » dégénéré qui ne voulait strictement rien dire. Je suis bête, mais bête, mais bête. J’ai envie de me taper sur la tête tellement je suis bête.
« Alors, quelle est ta première impression du lycée ?
- A part toi, pas très accueillant. »
Puis nous avons parlé, bafouillé, ri, balbutié, ri, baragouiné… Et je suis amoureux. Mon ventre compose parfois une tyrolienne et lorsqu’il se taît, mon cœur joue un tango très sensuel. Chacun de ses mots me fait fondre comme une barre de chocolat noisette avec de la gaufrette au milieu. Je crois que je coule et que je me faufile sous les portes. Elle s’appelle Delphine Harmonie. Elle a dix-huit ans. Elle vit au centre ville de Cylenne chez sa grand-mère. Elle vivait en Normandie. Elle se disputait trop souvent avec sa génitrice antagonique alors elle est partie. Elle écoute Kiss, Motley Crue, Wasp, Alice Cooper, Rammstein, Marilyn Manson, Oomph, Type O Negative, Monster Magnet… et d’autres produits commerciaux dits marginaux pour faire plaisir aux adosécervelés. Bref, elle a des goûts de chiotte. Mais je pense pouvoir devenir tolérant surtout lorsque je vois les courbes de son corps. Enfin, c’est surtout ma bite qui a un degré de tolérance vraiment immense.

Mercredi 8 février
Je me réveille brutalement. J’ai fait un rêve vraiment étrange : Kévin se faisait tuer par Jésus-Christ, et juste après, Jésus Christ se transformait en Hitler. Un cauchemar horrible. Je me frotte les yeux. Ma panique s’adoucit progressivement parce que Delphine enveloppe tout le reste de mes pensées.
Plus tard.
J’arrive au lycée. Christoph me prend l’épaule.
« Alors, tu lui as parlé ?
- Oui, et ce n’est pas une fille pour toi mon cher Christoph. A part System Of A Down, elle n’écoute rien de ce que tu écoutes.
- Elle écoute quoi ?
- Marylin Manson
- Pouahh! Il fait pas que des reprises ce glandu ?
- Peu importe.
- Tu vas accepter de supporter la basse de Twiggy Ramirez ?
- Ma bite est prête à faire cet effort
- Tu ne tiendras pas longtemps. Tu sais qu’il a repris “I Put a spell on you” de Screaming Jay Hawkins ?
- C’est pas cette reprise que je déteste le plus. De toute façon, elle n’écoute pas que cet artiste trompeur. Et puis, Manson a fait des bons shows, surtout grâce à Trent Reznor.
- L’amour t’aveugle, tu es en train de dire des conneries.
- Non. J’aime beaucoup Trent Reznor.
- C’est ton péché mignon.
- Avec un peu de chance, elle se contentera de vouloir me faire découvrir les tragédies d’enfance de Jonathan Davis.
- Je trouve que tu en connais déjà un bon rayon, parce que, qui est Jonathan Davis ?
- Ouahh ! Tu connais le nom du chanteur de korn et son enfance ? Alors vous n’avez parlé que de ça ? C’est passionnant de sortir avec cette fille !
- Tu es jaloux parce que moi au moins je peux parler musique avec ma copine
Au loin, j’aperçois Kévin. Je lui cours après et lui demande s’il va bien. Il me répond positivement.
Puis, au loin, je vois Delphine.
Mon cœur se met à battre très vite. Tellement vite que je crois qu’il veut sortir de ma poitrine. Je lui demande de se calmer. Mon cœur est fou parfois.
Elle entre dans le lycée.
Je la suis comme un lion ayant repéré sa proie.
Je la rattrape et l’interpelle. Elle se retourne. Nous nous saluons. Nous nous sourions. Je l’accompagne devant sa salle. J’ai très envie d’elle. Elle m’excite beaucoup trop, surtout lorsqu’elle me touche, me frôle le bras… Toute sa chaleur et toute son odeur m’envahissent. Tout en elle ne cesse de me pénétrer. Et j’ai envie de faire la même chose avec elle mais avec plus de matières plantureuses.
Sonnerie.
Le pavlovisme ne peut rien contre le désir animal. J’attends avec elle, qu’elle entre dans sa salle. Elle n’arrête pas de me parler de truc que je n’arrive pas à me souvenir tant je suis détourné par son corps, par ses cheveux, sa voix, ses yeux, sa bouche.
Plus tard.
Je suis chez Marshall. Il me conseille de poursuivre ma quête maintenant avant que nos rapports deviennent trop amicaux. Ce n’est pas l’envie qui m’en manque. Je désire énormément me retrouver dans son lit, de la toucher, de la caresser, de la faire vibrer, de lui tremper mon gland.
Marshall me conseille aussi de me calmer. Il a raison. Elle ne voudra peut-être pas coucher avec moi. Je réfléchis raisonnablement un dixième de seconde : si dans deux semaines je n’ai toujours pas réussi à glisser dans son minou, je laisse tomber. C’est son corps que je veux. Puis nous regardons un film pourri : Comportement troublant parce que nous n’avons vraiment rien d’autre à faire.
Après le film.
Ce film était horrible : des jeunes rognures lubriques étaient poursuivies par des adolescents conformistes avec du gel dans les cheveux. C’était vraiment horrible de voir autant de gel. Je hais le gel. J’ai envie de voir Delphine. Je crois que je vais aller chez elle. J’aime bien Marshall mais il ne m’excite pas beaucoup sexuellement.
Plus tard.
Je suis chez Delphine. Nous écoutons un groupe de Métal qui ne me plaît pas du tout. C’est à vomir son foie. Cela s’appelle Wasp.
Plus tard.
Je l’ai embrassé. C’était chouette. J’aime beaucoup sa langue. Je l’ai trouvé très sympathique. J’espère la rencontrer souvent. Pendant que je l’embrassais, je lui ai touché les seins. Ils étaient très gentils aussi. Elle s’est laissé faire. Je pense que je n’attendrai pas deux semaines avant de me doucher la canne. Tant mieux parce qu’elle me fait trop bander. La seule chose que je regrette, c’est que nous nous sommes palpés sur White Zombie. Je crois que c’est exactement ce genre de musique qui mettra un jour, un terme à notre relation. Cela peut sembler fortement immature de s’arrêter sur la musique, mais cela ne l’est pas pour moi. C’est important. Christoph avait raison mais j'étais beaucoup trop orgueilleux pour l'admettre.
Mardi 10 mars, autrement dit : un mois plus tard.
Hier soir, j’ai fait l’amour avec Delphine pour la septième fois, et elle a encore refusé de mettre une musique que j’aime. Non, mademoiselle fait et fera toujours l’amour sur son album préféré : Adrénaline de Deftones. Ce n’est pas ce qu’elle m’a fait écouter de pire, mais je m’en lasse parfaitement. J’ai la vague impression de perdre mon temps.
Et puis, elle ne m’intéresse plus autant. Mademoiselle possède une trop grosse inclinaison pour la bière bon marché et m’insulte lorsque je veux fumer du shit. De plus, elle n’aime ni Patrick, ni Arthur et ni Kévin. Pour elle, ce sont des chochottes en puissante. Même si c’est vrai, ce n’est pas une raison pour ne pas les aimer. Après tout, je suis également une chochotte. Aussi, mademoiselle aime se balader cul à l’air. Elle ne porte pas de culotte sous son jean déchiré. Cela aurait été fort agréable si je n’avais pas été son petit-ami. Le regard envieux et la bouche débordante de baves des autres me dérangent. Elle s’est teint les cheveux en noirs. Parfois, elle drague Marshall. Ce dernier fait de son mieux pour la repousser, alors elle va séduire Jonathan qui bien entendu, se laisse faire, puisque c’est le fils de Satan. Elle souhaiterait que je me teigne les cheveux parce que mon blond vénusien la rend mal à l’aise. Mal à l’aise ? Aussi, mademoiselle n’aime ni Sonic Youth, ni Björk, ni The Doors, ni Frank Zappa ! Naze, très naze ! Elle ne s’intéresse pas non-plus aux œuvres de Richard Long, Robert Smithson, Dennis Oppenheim et Christo. Elle confond les Smashing Pumpkins avec The Flattened Courgettes. Mais pire encore, pire que tout, pire que de subir continuellement son Métal de merde, ( pire et j’en crie Ha !), elle n’aime pas Iggy Pop et a osé affirmer qu’à la rigueur, son meilleur album était Beat Em Up ! Cette remarque d’idiote inculte est franchement insupportable et impardonnable ! ( Ha ! Ha !) Le seul et unique point positif de cette fille est qu’elle suce bien.
Bref, je suis actuellement dans mon lit, en train de réfléchir tout en regardant mon poster de Björk nue sous une feuille. J’attends qu’elle me suggère de la plaquer. Le problème c’est que mes posters sont trop timides pour me parler. Maman gueule. Il faut que je me lève. Mais j’ai envie de rester dans mon lit et d’attendre les prochaines vacances.
Plus tard.
J’arrive au lycée. La première personne que je vois est Christoph. Il me dit qu’il est très pressé d’être au Moon Moon Bar pour le concert en hommage aux Small Pea Compacted. Moi aussi. Patrick se joint à nous. Il nous raconte une histoire très étrange sur un éléphant homosexuel. Je vois Delphine qui entre dans le lycée. Elle ne m’a pas vu. Je ne vais pas la rattraper tout de suite. Je vais d’abord rejoindre Marshall qui se trouve toujours près des casiers jaunes.
« Salut Marshall. J’ai encore baisé Delphine sur Deftones hier soir. »
Il rit. Le rire de Marshall est rare. Le fait qu’il plaisante de ma situation prouve que mon histoire est particulièrement horrible.
« Ca va, ce n’est pas le pire groupe qu’elle aurait pu te faire subir.
- Mouais, j’imagine qu’elle souhaite baiser sur Zipper Catches Skin d'Alice Cooper ou le plus nul de Manson.
- Tu vois, tu positives déjà !
- Je te hais. »
Je le laisse et me dirige devant la salle de Delphine en traînant des pieds. Elle est comme d’habitude, appuyée contre le mur et écoute son baladeur. Elle est vraiment sexy. Mais j’en ai ma claque de Deftones ! Il faut que je la plaque.
Le soir, chez elle.
Mon horrible pressentiment s’est révélé exact. Je suis en train de lui faire l’amour sur Holy Wood de Marilyn Manson. Elle a programmé en boucle Disposable Teens et la torture a atteint un certain paroxysme. Je ne suis parvenu à avoir une érection uniquement parce qu’elle m’a sucé comme une goule. C’était tellement bon, que je n’entendais plus la musique. Sauf qu’au moment de la pénétrer, l’air débile et la basse de Twiggy Ramirez se sont infiltrés dans mes pauvres oreilles. Au secours Marcus Miller ! J’ai cru que cette merde atroce allait me couper sérieusement l’envie. Je bande encore. J’espère me vider très vite parce que j’en ai vraiment marre. Ses seins, ses cris, son sexe commence à me répugner. Je crois que je vais vomir. Elle empeste le rhum et sa musique est à gerber. C’est horrible. Je débande. Ce n’est pas la peine de continuer. Je vais vomir et en jouir comme pour Armelle. Je me détache d’elle. Elle se plaint de ne pas avoir pris son pied. Twiggy continue de me harceler.
Soudain, d’un élan que j’explique tout à fait, je balance violemment son poste à terre qui explose sur le sol, la musique a disparu… Mais Delphine me pousse aussi en arrière et me gifle.
« T’es con ou quoi ? Qu’est-ce qui t’prends !
- Trouve-toi un vieux motard, tu me fais trop chier. »

Jeudi 15 mars
Nous sommes devant le Moon Moon Bar. Il est 19h 06. C’est cool. Nous avons faim. Nous allons au MacDonald. Christoph et Patrick se chargent d’aller chercher la nourriture, pendant qu’Arnold va aux toilettes et que Marshall et moi cherchons des places extérieures. Soudain, un homme d’allure psychotique et soignée prend le bras de Marshall et lui ébauche un plaidoyer sur le bonheur éternel, les petits enfants en harmonie avec les animaux, la communion entre les êtres vivants, de Dieu, de la Bible… Sûrement un témoin de Jéhovah ou une autre secte soporifique. De toutes les manières, un hominidé niais trempé d’un costume propre qui cause de bonheurs est forcément membre d’une secte. Nous l’écoutons quand même, pour le plaisir de lui laisser sa minute de liberté d’expression (nous respectons profondément les Libertés Fondamentales instaurées par nos ancêtres, les pygmées du Mont Saint-Pelvienne). Nous l’écoutons, écoutons. Il parle, parle, parle… Il sourit, il parle, il sourit… Un brave gars… Le problème avec ces gens-là, c’est qu’ils sont complètement bornés. Nous tentons quand même de rester tolérant et de lui accorder ses minutes de liberté d’expression. Puis il termine par cette question : « Seriez-vous d’accords pour que nous nous rencontrons un autre jour et que nous poursuivons cette conversation ? ».
Personnellement, j’avais très envie de répondre non. Mais Marshall est plus rapide que moi : «Bien sûr. Quand ?
- Quand vous êtes libres.
- D’abord, il faut que je vous dise que je suis un fervent admirateur de la sodomie masculine, et vous êtes d’une beauté… Erman, pourquoi part-il ?
- Vous lui avez fait peur, mon cher Fisher !.
- Je n’ai fait que m’exprimer librement. Il a eu droit à ses minutes de liberté d’expression, pourquoi n’y ais-je pas le droit ?
- Parce que tu es offensant.
- Sa secte m’offense aussi et pourtant… Erman, une idée me traverse. Pourquoi ne créons-nous pas une secte ?
- Pitié. D’où te viens cette idée soudaine ? Dieu, je vous hais de mettre des trucs bizarres dans le cerveau de mon ami. Pourquoi tu veux créer une secte ?
- Je ne sais pas. Dresser les gens incultes, naïfs et faibles.
- Cela s’appelle l’éducation mon ami, deviens prof dans un lycée si tu y tiens tant que ça.
- Tu trouves que l’éducation scolaire est une valeur sûre ? J’y vois chaque jour beaucoup de crétins.
- Tu en es une preuve.
- Bon, alors pour le pouvoir.
- Le pouvoir de quoi ? De dominer une bande de nigauds assoiffés de télévision et d’artifices ?
- Nous pourrions les rendre plus acceptables pour nous.
- Cela s’appelle une dictature mon ami…
- C’est ça ! Mais oui Erman ! Je sais ce que je veux devenir ! Un tyran !
- Alléluia mon frère, dans ce cas là ne vois pas d’objection à ma tendance soudainement - suicidaire.
- A ce point ?
- Tu vaux mieux qu’une page de tyrannie dans le dictionnaire. Deviens prophète, c’est plus intéressant.
- J’ai toujours su que tu avais des tendances suicidaires. Arnold arrive, prépare-toi à la volée de questions qui va surgir de ses cordes vocales.
- C’est terrible les murs des chiottes ici, commence Arnold, on ne peut pas chier sinon on nous entend crier, ils sont trop fins.
- Pardon ? Crier ? s’étonne Marshall.
- Tu cries quand tu chies ? je demande.
- Bah ouais.
- Non ?! dit Marshall abasourdi.
- C’est vraiment horrible, je prononce.
- Quoi c’est horrible ! Vous ne criez pas vous ?
- Bah non ! s’exclamons-nous.
- Mais tu cries quoi ? je demande.
- Quoi je crie quoi ? Je crie c’est tout.
- Mais tu cries comment ? Tu hurles ? Tu gémis ? Tu vagis ?
- Je ne veux rien savoir ! dit Marshall en se bouchant l’oreille droite.
- Alors, tu cries quoi ?
- Laisse-moi tranquille Erman ! Je ne te dis plus rien. »
Les autres arrivent avec les plateaux de nourriture. Nous nous asseyons dans un coin près du Moon Moon Bar, le temps étant resplendissant. Ils commencent à absorber la graisse de MacDonald tandis que je laisse mes frites quelques secondes pour dénoncer Arnold.
« Et les mecs, Arnold crie quand il chie.
- Ouais bah quoi ? Moi aussi, nous apprend Christoph.
- Oh c’est dégueu, je ne vous parle plus jamais ! hurle Marshall en se bouchant l’oreille droite.
- Moi aussi je crie, m’annonce Patrick.
- Quoi ? Mais vous criez quoi ? Je demande. »
C’est alors que Christoph émet un son bizarre.
Je suis encore plus surpris.
Je demande: « Mais pourquoi vous criez ?
- Parce que, commence Christoph, j’ai mal quand je chie, alors je crie.
- Quoi ? T’as mal quand tu chies ? Marshall, est-ce que t’as mal qu…
- Je souhaite de tout mon cœur que nous mettions fin à cette conversation qui me donne la gerbe. »
Nous entreprenons la dégustation de nos sandwichs, quand soudain Marshall jette ses frites sur le bitume et se tourne de mon côté enragé.
« Te rends-tu compte mon cher Erman, qu’en bouffant cette merde grasse et dépourvue de saveur, nous participons à un apocalypse culinaire ?
- C’est un nom féminin, une apocalypse. T’as raison, mais j’ai faim et nous n’avons pas les moyens d’acheter autre chose pour nous nourrir.
- Et bien moi je préfère crever la dalle que de me soumettre à cette catastrophe gastronomique!
- Ok.
- Votons les Verts Bordel ! s’écrie Patrick.
- T’as vraiment un grave problème Patrick. A chaque fois que tu hurles le mot bordel, tu créais une pollution auditive ! je m’exclame.
- A bon ? murmure-t-il »
Plus tard.
Le concert des Small Pea compacted au Moon Moon Bar est excellent et très bruyant. Mais j’ai si faim que ma cervelle est noyée d’incompréhensibilité. Je suis dans l’incapacité de vous parler plus longtemps. Ah merde, je tombe dans les pommes.
Je me réveille. Une jeune fille rousse me regarde : « Tu veux un bout d’omelette ? »
Je suis assis contre un mur du bar. Deux filles, un homme barbu dans la trentaine et un serveur me fixent avec de grands yeux. Je n’aperçois aucun visage connu. J’essaye de me lever. L’homme barbu dans la trentaine, vêtu d’un large jean et d’un tee-shirt La Cantatrice Chauve, affiche du Théâtre de la Huchette, m’aide à m’asseoir devant une table. Il y a trois verres pleins, une bouteille de Desperado, une assiette en plastique et une omelette à moitié finie. Les deux filles s’installent à côté de moi, l’homme qui m’a aidé à m’asseoir, va se chercher une chaise près du bar. Le serveur me demande si je vais bien et me propose un café. Je lui réponds que je n’ai pas d’argent. Les deux filles, la première, une petite brune rondelette aux cheveux courts ébouriffés avec un piercing dans le nez et l’autre, une maigre rousse aux cheveux très épais, des taches de rousseurs partout et une mini robe vert pomme, me sourient. La brune me demande : « Quelque chose qui n’est pas passé ?
- Non, j’ai rien mangé depuis ce matin. Mon crétin de pote a donné ma bouffe à un clodo.
- C’est plutôt sympa de sa part.
- Ouais mais je ne suis pas la réincarnation de l’Abbé Pierre.
- Tu veux de mon omelette ? me propose la rousse en poussant l’assiette de mon côté.
- Non, je commence à aller mieux. Merci. »
J’ignore comment je me suis retrouvé à l’autre bout du Moon Moon Bar. Je distingue quelques uns de mes amis devant l’estrade en train de danser. Le serveur m’apporte un café.
« Merci mais je n’ai pas d’argent. »
Il me fait un clin d’œil :
« Marc, t’es adorable. Mais je vais payer, dit la petite brune au serveur.
- J’espère bien, répond le serveur d’une voix d’outre-tombe.
- Merci, merci beaucoup.
- Ne me remercie pas. Remercie la Planète Winsports !
- Ok, à quel moment êtes-vous arrivés sur Terre ? Dis-je pour plaisanter en espérant de tout mon cœur n’être pas tombé sur une bande de malades mentaux.
- Il y a six ans environ, répond l’homme au Tee-shirt Ionesco.
- Nous sommes ici dans le but de prévenir l’arrivée des monstres de la planète Morphlé, me dit la brune.
- Des limaces géantes capitalistes, continue l’homme au Tee-shirt Ionesco.
- Ok. Pourquoi ? Les extraterrestres de la planète Morphlé pensent qu'il n'y a pas assez de capitalistes comme ça ? Dois-je m’inquiéter ?
- Espérons que non, m’annonce la brune. »
La rousse me fait signe de manger l’omelette. Puis, elle s’approche de mon oreille et me dit : « Je m’appelle Gabrielle, mon amie c’est Françoise et le type bizarre à côté de toi, c’est Eric. »
Je me présente à mon tour.
Finalement, j’ai passé la soirée avec eux. Gabrielle est très charmante et sa peau me semble si douce que j’ai très envie de la toucher. Eric est un fan de Zappa et Miles Davis, ce qui a profondément enrichi notre conversation. Il a trente-cinq ans et il est fiancé à Gabrielle qui en a vingt-huit. Françoise est mariée avec un disquaire qui s’appelle Louis, qui s’est chargé de garder leur enfant de deux ans. Un arrangement pour améliorer leur couple d’après ce que j’ai cru comprendre. Eric s’occupe des réceptions dans une librairie à côté de la boutique de Louis, et Gabrielle est assistante maternelle. En fait, ils ne viennent pas d’une autre planète. Gabrielle tentait de se foutre de ma gueule. Elle pense que j’ai avalé une merde pas très catholique. Je lui avoue que je connais trois filles qui proviennent d’une planète extérieure. Ils pensent que je blague. Je ne préfère pas insister sur ce sujet. Ils ont l’air bien sympathiques. Je pencherais plutôt vers une amitié, alors ne pas me faire passer pour un fou est une solution nettement plus efficace. Il est temps que je sorte un peu du bout du bout de ma connerie personnelle en n’étalant pas trop, les trucs bizarres qui règnent autour de moi, même si c’est pure vérité.

Lundi 2 avril, soir.
Je relis ma leçon d’histoire parce que mon professeur aviné, nous a suffisamment fait comprendre que demain, nous serrons interrogés. Je hais mon professeur d’histoire de cette année. On a l’impression qu’il abomine son métier et qu’il crache son ressentiment sur ses élèves. Comme si nous étions responsables de sa mauvaise vocation !
Le téléphone sonne.
Je ne réponds jamais au téléphone. Premièrement, parce que ce n’est jamais pour moi, mes amis détestent jargonner à travers une machine. Deuxièmement, parce que je déteste jargonner à travers une machine. Troisièmement, parce que nous sommes peut-être sur écoute…
Maman m’appelle. La communication superficielle instantanée m’est décernée. Qui peut bien m’appeler ?
C’est la mère de Kévin, elle pleure.
Cela faisait deux jours que Kévin n’était pas venu en cours. Nous séchons souvent, alors nous ne nous inquiétons jamais des absences de nos amis.
Kévin s’est pendu cet après-midi. Il est mort.
Je suis enfermé dans ma chambre depuis trois heures. Des tas de choses traversent et retraversent mon esprit.
Je n’ai envie de voir personne. Je n’ai même pas envie de voir Marshall.
Je n’ai pas pleuré encore. Mais, je n’ai pas remué le moindre organe vital non-plus. Maman a tenté de me faire parler à travers la porte. Mais je n’ai pas envie d’exprimer quoi que ce soit.
J’ai envie de fumer.
Ma cervelle asthénique me récite des vacuités aseptisées. Comment ne pas devenir aliéné pendant ces difficultés ? Comment ? Si vous détenez une réponse, aidez-moi à retourner à un état presque normal, du moins, proche de ma personnalité. Je ne me sens pas bien.
Ma mère m’annonce que Marshall est au téléphone. Je ne veux pas lui parler. Il ne m’appelle quasiment jamais. Alors, je sais de quoi il veut converser. Je n’ai pas envie de causer avec lui. Il ignore tout ce qui concerne les sentiments, la difficulté de l’existence. Tout lui est indifférent. Je ne vois pas pourquoi je discuterais avec lui. Il ne comprend rien.
Cela fait huit heures que je suis enfermé dans ma chambre. J’ai pleuré. Je me suis arrêté. Puis, j’ai encore pleuré. Maintenant, j’ai la cervelle vidée. Je suis épuisé. Kévin, c’est un prénom de starlette hollywoodienne. Qu’est-ce qu’il a foutu toute sa vie avec un nom aussi contraire à sa personnalité ?
Maman n’est pas couchée. Je l’entends jouer avec son collier de perles roses derrière la porte. Elle attend un signe de vie. Elle est triste pour moi.
La première fois que j’ai invité Kévin à la maison, maman l’a fixé avec inquiétude pendant trois quart d’heures et deux dixièmes de secondes (je vous assure). Ensuite, elle n’a pas cessé de me transmettre, que c’était sûrement un petit garçon déstabilisé et qu’il ne fallait surtout pas le faire souffrir. Au début, j’étais gentil. Puis, je suis devenu un peu con parce qu’il se plaignait tout le temps et c’était fortement agaçant. Kévin et moi avions tous les deux été rejetés à notre arrivée au collège de Cylenne. Je voulais qu’il oublie comme j’avais oublié. Je voulais qu’il supporte la bêtise des autres comme j’étais parvenu à le faire. Ces gens, il faut les regarder comme ils le méritent et non se rabaisser comme une vulgaire sardine au citron périmée. Mais ils se prennent pour qui ces Cylennois ? Une élite destinée à enfanter les meilleurs fœtus de la planète ? Qu’est-ce qu’ils ont de plus que nous à part les poches chargées d’argent et de drogues de toutes catégories ? Ma mère s’est longtemps fait une tragédie parce que je fumais du cannabis. Mais eux, ses élites parfumées de billets, je les ai vu se torcher de cocaïne et de LSD. Nous n’en sommes pas réduits à cette bassesse. Et pourtant, on nous embroche le cœur avec des invectives de tout ordre. Ils l’ont tué. Ces petits adolescents bourgeois aux sourires caustiques et leurs parents prétentieux, arrogants qui élèvent leurs gosses pédants comme des monarques, ont assassiné mon ami. Je n’ai pas de preuves. C’est un harcèlement moral né depuis le collège et nous ne pouvons rien faire contre cette royauté dissimulée et despotique.
C’est la nuit. Maman est partie se coucher mais je sais qu’elle ne va pas dormir. Dès que je sortirai de ma chambre, elle viendra me rejoindre.
Il avait beaucoup de culture. J’ai énormément appris avec lui.
J’ai peur d’oublier son visage et sa voix avec le temps.
J’ai peur. Je ne sais pas ce qui va se passer après. Comment allons-nous vivre normalement après cet événement effroyable ? J’ai peur. J’ai vraiment très peur.
C’est bientôt le matin. On commence à voir les premiers rayons du soleil à travers les craquelures de mes volets en bois.
La chose la plus débile que j’ai fait avec Kévin, est une séance de télékinésie ratée. C’était pendant des grandes vacances. Kévin revenait de Bretagne où il avait rencontré une fille excentrique et moi, j’étais là car je n’avais pu partir par manque d’argent, comme d’habitude. Cette fille fortement singulière, avait tenté de lui instruire, théoriquement, la force psychique des êtres humains sur les matériaux environnants. Lorsqu’il est revenu, nous avions voulu pratiquer. Nous avions déposé un cure-dent au milieu d’une table et nous avions essayé de le déplacer par la force de nos esprits. Au bout de cinq minutes, nous soufflions dessus pour le faire tomber à terre.
Kévin ne s’habillait qu’en noir. Il était très maigre et le noir ne l’arrangeait pas. Il possédait des cheveux magnifiques qu’il n’aimait pas qu’on touche. Mais, il a laissé Mélanie Pinot les effleurer une fois. Nous l’avions longtemps charrié avec cette histoire. Il était amoureux et elle était gentille. Lorsqu’il est sorti avec elle, nous avions cessé de nous moquer puisque ce n’était plus drôle. Ils étaient tellement mignons ensemble. Puis, elle a changé. Elle a commencé à se soucier de son apparence, et ensuite de ses fréquentations. Et elle l’a quitté pour un Steve Fisher ou un Dylan Duburque.
Il fait jour.
J’ai envie de mourir.
J’ai envie d’écouter The Wall des Pink Floyd. C’est le seul album au monde qui sera écoutable aujourd’hui. Je mets Maggot Brain de Funkadélic.
Il est 10 heures. Je me suis endormi. Ma mère ne m’a pas réveillé. C’est une journée étrange qui commence. Hier, j’apprenais que Kévin s’était pendu. Et aujourd’hui, nous sommes le lendemain. Le temps à l’extérieur est magnifique. C’est assez difficile à supporter. Une journée comme aujourd’hui mérite un temps maussade. J’hésite à mettre The Wall dans ma chaîne-hi-fi. Finalement, j’insère Blue Train de John Coltrane.
On sonne.
Je vais ouvrir. C’est Marshall. Je le laisse entrer mais je n’ouvre pas la bouche. Il s’installe sur le canapé sans rien dire. Je m’installe sur le fauteuil en face.
Silence.
Je ne sais pas quoi penser. Je ne sais pas quoi dire. J’ai le cerveau complètement vide.
Il dit doucement : « Erman, tu sais, quand je dis que j’aime personne… Je fais une généralité…Il va énormément nous manquer. »
Mercredi.
Arnold et moi sommes chez la mère de Kévin. Elle veut que nous l’accompagnions à l’église. Elle ne pleure pas. Elle s’active. Elle range la maison, prépare des milliers de biscuits. Elle veut que nous prenions les affaires de Kévin et que nous en fassions ce que nous voulons. Elle veut aussi que nous gardions chacun quelque chose. A vrai dire, je n’en ai pas très envie.
Nous sommes dans sa chambre. C’est la première fois de ma vie que je vois Arnold silencieux.
Nous sommes assis sur son lit. Nous regardons sa chambre. Kévin s’est pendu dans le jardin. On peut voir l’arbre par la fenêtre. Sa mère va le faire abattre jeudi.
« Erman, j’ai pas envie d’amener toutes ses affaires.
- Moi non-plus Arnold. Mais sa mère…
- Je sais. »
Silence.
La chambre de Kévin est truffée de petits objets. Des bibelots, des vieilles peluches, des grenouilles en papiers, des stylos de toutes sortes, des bijoux d’argents représentants toutes sortes de trucs occultes, des livres, des livres et des livres.
Nous avons placé presque toutes ses affaires dans des cartons pour l’instant. Nous pensons enterrer la plupart au Parc de Livoyler. Le reste sera partagé entre nous tous. La fourmi mexicaine va vivre avec Arnold. Elle a vendu sa guitare et renonce à chanter pour le reste de sa vie.
Plus tard.
Nous sommes dans l’église. Il y a beaucoup trop de monde pour un type qui n’était pas aimé. C’est maintenant qu’ils se rendent compte que c’était un mec bien ! C’est un peu tard, je crois. Certains sont venus en tant que spectateur. Cela me révolte. J’ai presque envie de faire une scène. Mais je ne la ferai pas.
J’ai envie de renoncer à mes études littéraires et devenir disquaire dans une modeste boutique à Paris. J’empocherais des clopinettes mais j'honorerais le lieu. Ma clientèle semblerait convenablement charmante. J’aurais de légers soucis d’entente déontologique avec certains de mes collègues altiers, mais tout irait bien d’ordinaire.
Une femme légèrement compliquée mais pleine de tendresses, m’offrirait tout son amour pour l’éternité.
Patrick fuirait ses futures études d’horticultures. Il nettoierait le cul des grands-mères dans une clinique. C’est exactement le genre de boulot où je le vois finir son existence d’insubordonné. J’occuperais un arbre comme celui de Christoph à Paris. Mon arbre serait minuscule mais je serais rarement chez moi, Paris étant une ville attractive à n’importe quel moment. Je pourrais me balader le soir tranquillement sans craindre une attaque de babouins communistes ou d’androïdes femelles cannibales. Christoph irait en Afrique pour posséder son propre Harem. Arnold aurait sa boîte de Taxis. Benjamin deviendrait propriétaire d’une usine de jouets…
J’aurais beaucoup changé. Je me coifferais régulièrement d’un chapeau à la Paul Simonon. Mes cheveux m’arriveraient aux épaules. J’aurais une petite barbe. J’abandonnerais les jeans larges et les pulls de propagande musicale pour investir dans les chemises à dix francs, les pantalons à dix francs et les pulls tricotés par ma femme. Je dormirais sur un tas de feuilles et de mousses et ma mère gueulerait au téléphone toutes les semaines.
Je ne verrais plus Marshall. Non, je ne verrais plus Marshall, parce qu’il n’aime pas la vie, parce qu’il n'apprécie personne, parce qu’il est sinistre, parce que son esprit est confiné dans un réceptacle plein de préconçus, parce que c’est profondément épuisant et déprimant. Il estime qu’il a transcendé l’espèce humaine ! Mais il est au fond, sa pire représentation. Il ne les aime pas, parce qu’il n’accepte pas le reflet de son propre visage. Il incarne une psalmodie régressive. Je suis infiniment angoissé à l’idée de devenir comme lui. Je suis un individu de convictions. J’ai besoin d’être entouré de gens optimistes et expressifs. Ce monde est en train de me désintégrer. Il n’existe pas que Cylenne dans la vie. Il est temps pour moi d’évoluer et de partir. J’ai envie d’être joyeux, toujours souriant. Je ne veux plus être piétiné. Je veux faire découvrir la musique au monde entier, embellir la vie avec des sons de qualités, adoucir les mœurs, harmoniser l’existence… Je ne veux plus être le Cafard.

DE GRÂCE, INDIVISIBLE QUEUE
Vendredi 20 mai
Nous sommes dans l’arbre de Christoph. Mes potes fument n’importe quoi, mangent des crêpes fourrées à la cannelle et à la crème noisette, boivent du thé à la pêche ou de la bière à la framboise. Nous écoutons Combat Rock des Clash. Jonathan a ramené Kévin sur Terre. Nous l’avons rouspété pour son acte profondément égoïste et pathétique. Est-ce que cela valait vraiment le coup ? Nous l’avons menacé de lui couper ses beaux cheveux noirs en cas de récidive. Docile et Denver ont eu sept enfants qui ressemblent pour l’instant à des lézards très repoussants. Ils courent partout dans la cabane, c’est assez difficile à supporter. Louis, l’époux de Françoise, la petite brune rencontrée au Moon Moon Bar, m’a proposé un poste de disquaire dans sa boutique. Je suis très heureux.
La télévision a atteint sa débilité la plus intégrale en ne diffusant que des Reality Show, uniquement dans le but d’altérer le cerveau. Plusieurs raisons à cette nouvelle perversion aberrante :
- Etre plus réceptif à la publicité et donc consommer davantage. Logique. Dépenser, dépenser tout ce que vous gagnez !
- Se moquer de la vie méprisable des autres en pensant que la nôtre est considérablement supérieure. Bien sûr, cela écarte le chômage, le harcèlement moral, la crise budgétaire, les guerres à l’étranger, la violence des cités, la pédophilie, la délocalisation, le tourisme sexuel, la violence conjugal… , et en plus nous pouvons continuer à prôner la richesse facile ! Cela nous offre la remarquable impression que les spécimens étudiés dans ces émissions, sont plus exploités que nous dans notre travail et dans notre vie sociale, alors cela nous fait bien marrer parce que nous sommes des abrutis aveuglés !
Pour lutter contre cette anomalie cervicale, j’ai jeté la télévision par la fenêtre. Ma mère a hurlé. Je lui ai alors acheté cinq livres pour commencer et j’ai joué toute la soirée au Monopoly avec elle, nous nous sommes bien amusés. En l’espace d’une soirée, nous avons rattrapé une dizaine d’année de distance. Mon petit frère semble enfin avoir trouvé sa voie. Il est boulanger depuis la rentrée, s’habille normalement, côtoie la même fille. Il ne brûle plus de voitures et parle d’avenir. Il a des projets qui lui semblent réalisables.
Quant aux potes :
« Aurore Lacombe me harcèle. Je lui ai pourtant fait comprendre qu’elle ne m’intéresse pas, déclare Christoph.
- Dis-lui que t’es gay, propose Patrick.
- Dis-lui que t’es un zoophile et que t’aimes les lapines.
- T’as utilisé la manière forte ? demande Marshall.
- Pète et rote devant elle, ajoute Patrick.
- Non, je trouve la manière forte beaucoup trop méchante, répond Christoph.
- Gave-toi comme un porc devant elle, continue Patrick. Perce tes boutons blancs devant son miroir.
- Dis-lui que tu portes des sous-vêtements en acrylique.
- Tu te plains toujours que les filles te harcèlent et t’utilises toujours la manière douce ! Un bon « Fous-moi la paix, t’es trop laide ! »…
- Non c’est trop cruel, répond Christophe.
- Dis-lui que ta bite est un mastodonte.
- Dis-lui que tu ne voteras pas pour les Verts et que t’en as rien à foutre du réchauffement de la planète.
- Raconte-lui les détails de ta dernière gastro.
- Je ne peux pas faire ça à une fille tu comprends ?
- Dis-lui qu’en ce moment t’as des gaz, poursuit Patrick.
- Moi ça m’excite une fille qui a des gaz, révèle soudainement Arnold. »
Silence.
…
?
…
« Est-ce quelqu’un a bien entendu ce que vient de nous dire Arnold ? Demande Marshall.
- Non, non, répondons-nous tous en chœur.
- Bien…
- J’ai lu quelque part qu’on pouvait devenir schizophrène si on fumait trop de shit, nous dit Arnold.
- T’inquiète Arnold. Ca risque pas de t’arriver, commence Jonathan, il faut d’abord avoir un cerveau pour devenir schizophrène.
- J’en ai un cerveau !
- Ouais, on dit aussi qu’il faut avoir un cœur pour vivre bordel ! S’exclame Patrick.
- Est-ce que t’insinues que je n’ai pas de cœur? Interroge Jonathan en plantant sa main dans sa poitrine pour faire sortir son cœur.
- Putain, c’est trop dégueu ! S’écrie Benjamin.
- T’abuses Jon ! Remets-moi ça tout de suite ! J’ordonne avec autorité. »
Je suis surpris d’avoir dit quelque chose avec autorité. Il est temps de finir cette histoire. Est-ce que j’ai atteint le but que je m’étais fixé au commencement de cette complainte ? Je m’en fiche à présent. Mais je crois qu’il est quand même important, aujourd’hui, nous ne pouvons l’éviter, de vous parler des chilopodes.
Le canard est un animal vraiment très joli qui fait « coin-coin » surtout lorsqu’il discute avec des cygnes argentins. Parfois, l’Homme l’utilise comme nettoyeur de WC ce qui ne plaît pas trop à ce dernier. Nous connaissons tous également le Capitaine Canard qui par ses tirades tranchantes nous refroidit. Ce qui m’embouche un coin-coin canard. En fait, le canard n’a strictement rien à voir avec le chilopode, puisque ce dernier est un mille-pattes possédant plus de mille-pattes. Le chilopode est de couleurs mi-marron mi-écrasé surtout lorsqu’on le voit soudainement. Il possède autant de poils que de pattes mais ne marche pas pour autant sur le dos. Il a peur de la lumière et fuit dans les coins sombres lorsque vous allumez une lampe. Il a également peur des vibrations, vous pouvez le tuer en jouant de la basse. Certains peuvent atteindre la taille de mon pouce et cela donne plus l’envie de crier que de l’écraser. Nous connaissons cette célèbre expression : « Il a certainement plus peur de toi ! », n’empêche que vivre avec des chilopodes n’est pas toujours commode !
Pendant huit ans de ma vie, j’ai côtoyé des familles entières de cafards. Elles s’abritaient n’importe où, nous vivions constamment avec l’aspirateur dans la main. Elles se nourrissaient de la même chose que nous et longeaient les mêmes murs que nous. Savez-vous qu’un cafard se lave après un contact humain ? L’Homme se lave au contact du cafard ! Mais nous avons connu cette cohabitation pendant tellement d’années, que cette haine est devenue presque fraternelle. Nous le saisissons par cœur et vice-versa ! Le cafard est notre ennemi accoutumé. Il en existe plusieurs sortes. Les cafards de cuisine sont moins angoissants que les blattes américaines, mais les parasites qu’ils transportent peuvent être très dangereux.
Le chilopode est une autre histoire. La première fois que j’ai vu un chilopode, je croyais que c’était un extraterrestre. Quand j’étais petit, j’attrapais les mouches qui se glissaient entre les vitres et les rideaux et je les écrasais entre mes doigts, parfois, je leur arrachais les ailes pour ne pas qu’elles s’envolent et je les observais se débrouiller avant de les tuer définitivement avec une tapette. Je noyais aussi les fourmilières. Je mettais un peu de terre, des feuilles, une mûre et du sucre dans une bouteille d’eau, j’y installais des fourmis et lorsqu’elles s’étaient accoutumées à leur espace, je remplissais la bouteille avec de l’eau jusqu’au bord et les regardais s’engloutir et mourir. J’arrachais les pattes de derrières des sauterelles, modifié la couleur des coccinelles avec du Tipex et un feutre, enlevais délicatement la coquille des escargots qui se retrouvaient nus sans abris, je coinçais les limaces dans les pots de fleurs, écrasais les araignées, séparais les gendarmes qui s’accouplaient… J’ai été un criminel ! Le Hitler des petites bêtes ! Un tueur de masse sanguinaire ! Je suis le meurtrier de plusieurs milliers d’insectes et aujourd’hui je le regrette ! Ce génocide d’invertébrés était enfin terminé depuis plus de quinze ans lorsqu’une nuit, dans la pénombre, j’aperçus mon premier chilopode.

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire